Réforme des retraites : le choix de février, tout sauf innocent

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Le gouvernement a donc transmis au Sénat son projet de loi sur les retraites incluant les amendements adoptés à l’Assemblée mais en maintenant l’article 2 sur l’index senior bien qu’il ait été rejeté.

Emmanuel Macron avait affirmé son objectif dès la campagne présidentielle : repousser l’âge de départ en retraite à 65 ans et ce non par urgence financière mais par pure idéologie. Macron est un pur libéral qui veut réduire au strict maximum tout ce qui est dépense publique. C’est le cas pour l’école et l’université avec l’objectif de transférer le maximum de l’éducation à l’enseignement privé et aux grandes écoles et écoles de commerce privées pour ce qui est du supérieur.

C’est le cas pour l’hôpital au risque que même les plus aisés finissent par avoir du mal à se soigner lorsqu’ils sont obligés comme le commun des mortels de faire appel aux urgences.

Pour la retraite, son objectif est de réduire le montant des retraites versées par la Sécurité Sociale et les complémentaires pour obliger à s’affilier à des sur-complémentaires ou à des assurances diverses dont les capitaux seront placés dans des fonds de pension en actions.

N’ayant pas de majorité à l’Assemblée nationale il lui fallait soit trouver des alliés soit passer en force en utilisant les moyens donnés par la procédure législative.

Trouver des alliés pour faire passer la réforme ?

La réforme Touraine prévoyant l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans n’a pas rencontré en 2013 de front uni intersyndical contre, seules la CGT et FO s’y sont totalement opposés.

Cette fois-ci impossible pour le gouvernement de négocier avec la CFDT car elle a toujours été opposée au report au-delà de 62 ans et l’a même réaffirmé par un vote lors de son dernier congrès.

Elle défend depuis longtemps une réforme systémique c’est à dire une retraite à points, où chacun cotise pour lui-même. C’est d’ailleurs pourquoi elle n’était pas opposée au projet présenté en 2019 par Macron. Suite au Covid ce projet a été abandonné et Macron a finalement décidé de se contenter, pour le moment, d’en finir avec les derniers « régimes spéciaux » d’importance et de repousser l’âge de départ en retraite.

A vrai dire Macron n’est pas un grand adepte des négociations avec les corps intermédiaires, syndicats ou associations. Il se moque de fâcher les syndicats. Il a aussi tiré les leçons du mouvement pourtant massif de 2010 qui n’avait pu empêcher l’entrée en vigueur de la réforme de Sarkozy. Donc pourquoi s’embêter à négocier puisqu’il est convaincu de pouvoir passer en force.

Il n’a de même aucun respect pour le Parlement. A l’inverse de la droite historique qui se sentait obligée de devoir rendre des comptes à son électorat, ce n’est pas le problème de Macron qui pense que les députés dépendent de lui et se moquent totalement de savoir si sa politique peut les mettre en difficulté localement.

Macron a fait le choix d’utiliser cette réforme pour une opération politicienne de cornérisation de LR ou au moins de poursuite du débauchage d’une partie de ses députés. Ayant toujours défendu le report à 65 ans, LR se retrouvait dans une position plus qu’inconfortable d’autant que les sénateurs LR voteront la réforme. Ils ont donc essayé de faire croire que grâce à leur opposition ils allaient arracher des concessions tout en faisant traîner pour ne pas donner l’impression qu’ils se vendaient un peu vite.

La gestion du temps une arme politique

Le gouvernement avait plusieurs contraintes :

– essayer d’avoir l’opinion publique avec lui et la garder

– ne pas laisser se développer une mobilisation sociale dure

– ne pas perdre le vote à l’Assemblée

Les opposants à cette réforme avaient exactement l’intérêt opposé : développer la mobilisation tout en gagnant l’opinion publique et en la gardant, ne pas laisser passer un vote contre.

La première préoccupation du gouvernement était donc d’aller vite pour empêcher la mobilisation de se développer. Et il faut reconnaître qu’il a très bien su jouer de l’agenda et des procédures législatives.

Le choix de février était tout sauf innocent.

Au départ la présentation était prévue le 15 décembre pour un début d’examen le 10 janvier puis Macron a annoncé le report soit-disant pour ne pas gâcher les fêtes ni le mondial de foot.

En fait assuré de 4 semaines de vacances scolaires en février, le gouvernement savait qu’il empêchait les syndicats de lancer une grève dure pendant les congés car cela pouvait retourner l’opinion publique.

Bien choisir la procédure législative

Habituellement une réforme des retraites passe par un projet de loi ordinaire car elle ne contient pas que des mesures financières. Pour aller vite, le gouvernement peut déclarer la procédure accélérée qui réduit le débat au parlement à une seule lecture dans chaque assemblée et y ajouter le temps législatif programmé qui limite le temps des débats à un maximum de 50 heures. C’était la méthode adoptée en 2010 par Sarkozy.

Pour cela il faut que le texte ait été déposé 6 semaines avant le début du débat dans l’hémicycle. C’était tout à fait possible. Par contre sans majorité assurée, cela ne garantit pas le vote et peut donc obliger à utiliser un 49-3. Or sur les projets de loi ordinaire le gouvernement n’a le droit qu’à un 49-3 par session ordinaire c’est à dire jusqu’au 30 juin.

Le gouvernement a donc fait le choix d’utiliser la procédure de la loi de finances rectificative de la Sécurité Sociale, le fameux article 47-1 – très rarement utilisé – car il n’y a pas de limite à l’utilisation du 49-3 pour les lois de finance et au cas où cela se passerait mal au Sénat il pourra faire traîner pour terminer par légiférer par ordonnances. Un véritable détournement de la procédure législative.

L’art de la communication

Cette procédure oblige à examiner en premier les articles créant les recettes avant de passer à ceux créant de nouvelles dépenses. Le gouvernement savait donc qu’il ne pouvait pas inverser l’ordre d’examen des articles comme il aurait pu le faire avec un projet de loi ordinaire où il aurait pu imposer l’examen de l’article 7 au moment où il le souhaitait. Il a aussi insérer l’article 2 sur l’index senior alors qu’il sait pertinemment que cet article est ce qu’on appelle un cavalier législatif car ne comportant aucun aspect financier il n’a rien à faire dans une telle loi et qu’il est de jurisprudence constante que le Conseil constitutionnel rejette de tel article. Mais le gouvernement voulait faire croire qu’il se préoccupait de l’emploi des seniors.

Le gouvernement voulait donc une victoire mais une victoire nette pas étriquée et cela n’était pas garanti à l’assemblée. Le gouvernement a lui aussi fait jouer la montre tout en rendant responsable la NUPES et tout particulièrement la FI du prolongement des débats.

Malgré tout une défaite dans l’opinion publique

La macronie n’a pu empêcher que le travail de déconstruction mené conjointement par les syndicats, des économistes et les partis et parlementaires de la NUPES démontre à l’opinion publique les conséquences néfastes de sa réforme.

L’imposture des 1200 euros de retraite minimum, déjà pratiqué avec la soi-disant retraite agricole garantie dont les paysans ont déjà pu voir les mensonges, l’aggravation de la situation des femmes, l’injustice pour celles et ceux ayant commencé à travailler tôt notamment en apprentissage, tout cela a pu être démontré. L’opiniâtreté des député.e.s à relancer le ministre du travail pour obtenir des réponses précises, qu’ils ont rarement obtenu, a permis de lever le rideau de fumée que le gouvernement essayait d’étendre pour tromper l’opinion publique.

Il est donc hélas illusoire de penser qu’avec la Constitution de la 5ème République et un président comme Emmanuel Macron devenu un orfèvre pour contourner le Parlement lorsque ce dernier ne se plie pas à sa volonté, il soit possible de contrer totalement un projet de loi. En choisissant la procédure de l’article 47-1, Emmanuel Macron s’est donné les moyens de passer la réforme de son choix au cas où il n’arriverait pas à rallier LR malgré le passage de 65 à 64 ans pour le report de l’âge de départ en retraite.

Il n’y a que la mobilisation sociale qui peut arriver à le faire plier sur ce projet.

Mais il ne s’agit pas de rejeter le travail parlementaire. Faute de majorité assurée, il est possible de jouer des contradictions au sein des droites pour arracher des avancés ou limiter la casse. Cela peut paraître faible et très réformiste à certains mais dans certains cas ce n’est pas négligeable. Certains votes peuvent redonner de l’espoir et de la rage de se battre en montrant que tout n’est pas toujours plié. Cela permet de gagner du temps pour aider la mobilisation à prendre son essor et dans le cas présent à passer les vacances de février pour pouvoir lancer un mouvement de grève dur sans provoquer un immédiat rejet de l’opinion publique. C’est donc très important.

Il permet aussi d’éclairer les zones d’ombre et donc renforcer le rejet de la réforme et élargir son socle.

Aujourd’hui quasiment toutes les catégorie sociales sont contre et seule une petite fraction de retraités et de hauts cadres continuent à soutenir Macron.

Le mouvement de grève à partir du 7 mars doit donc être soutenu massivement pour que son ampleur et sa force oblige Macron à reculer.

Lorsque vous en avez les moyens n’hésitez pas à verser aux différentes caisses de grève. Il en existe une à la France Insoumise qui reverse ensuite les fonds récoltés aux salariés en lutte qui en ont le plus besoin. Ce n’est pas concurrent des syndicats, c’est complémentaire : https://lafranceinsoumise.fr/caisse-de-greve-insoumise/


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