Propriété intellectuelle : ratification de traités dépassés et liberticides

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Le jeudi 10 avril, l’Assemblée a ratifié deux traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’un sur les droits d’auteurs, l’autre sur “les interprétations et exécutions et les phonogrammes”. Le gouvernement avait prévu un vote sans débat. Il a fallu se battre pour obtenir de pouvoir au moins dire en quoi ces textes, issus du lobbying des distributeurs de contenus, avaient préfiguré les erreurs de la loi DAVDSI. Et ce n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait résulter du rapport Olivennes…

Vous trouverez mon intervention ci-dessous.
(l’intégralité des débats est en ligne sur [le site de l’Assemblée|http://www.assemblee-nationale.fr/13/cra/2007-2008/140.asp|fr])

__Mme Martine Billard__

Il a fallu beaucoup insister pour que ce débat ait
lieu, comme si le Gouvernement voulait faire passer ces ratifications en
catimini. Il faut dire qu’elles constituent une remarquable et absurde
obstination dans l’erreur, puisque lors du débat sur la loi DADVSI déjà,
l’accent, sur tous les bancs, avait été mis sur l’écart entre le texte
proposé et la réalité. En 1996, il s’agissait pour l’administration du
Président Clinton de forcer l’adoption de mesures de clientélisme
électoral favorables aux majors de productions audiovisuelles et aux
majors de l’informatique face à une opinion publique très remontée.

Dès juillet 1994, en effet, un groupe de travail sur le droit de la
propriété intellectuelle avait publié un « Livre vert » proposant, pour
tenir compte de l’émergence des technologies de l’information et de la
communication, d’étendre les droits des « ayants-droit » au détriment du
droit du public d’accéder à l’information.

Cent six professeurs de droit avaient alors adressé au vice-président Al
Gore une lettre ouverte, dénonçant le fait que le texte amenait à
considérer la simple consultation d’un document dans un navigateur web
comme une violation de copyright, qu’il obligeait les fournisseurs d’accès
à surveiller les activités de leurs abonnés, donc à porter atteinte à leur
vie privée et qu’il érigeait en crime fédéral tout contournement d’un DRM,
y compris dans un but normal et licite – écho au débat que nous avons eu
sur la loi DADVSI.

Les traités furent malgré tout conclus et ratifiés par les États-Unis en
1999. Ils reprennent, à peu de choses près, les dispositions promues par
le lobby des distributeurs de contenus mais rejetées, comme pour la loi
DADVSI, par la société civile, en particulier les utilisateurs d’Internet,
les bibliothécaires, les enseignants.

La transposition de la directive européenne de 2001 avec l’introduction en
droit français de la notion de pénalisation du contournement des DRM a
donné lieu à une forte activité des lobbies, ceux-ci allant jusqu’à
pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée, traditionnellement neutre.
Rappelons aussi qu’à cette occasion le Gouvernement nous a fait voter et
revoter un amendement jusqu’à ce qu’il obtienne un vote conforme à ses
souhaits !

Pour autant, nous avions réussi à faire adopter le principe de
l’interopérabilité – possibilité de contourner une mesure de protection
d’un système propriétaire qui empêche de copier un fichier d’une certaine
marque sur un appareil d’une autre marque – pendant de la pénalisation du
déverrouillage des DRM. Mais le Conseil constitutionnel a censuré cette
notion – au motif qu’elle était trop floue – ce qui a eu pour effet
paradoxal de maintenir la sanction dans le cadre de la législation sur les
contrefaçons, sanction lourde et difficile à utiliser contre des jeunes
qui téléchargent de la musique. Le Gouvernement, devant trouver une autre
façon de tenir ses engagements auprès des acteurs culturels, a confié une
mission à Denis Olivennes.

Aujourd’hui, un producteur de CD ou de DVD peut insérer sur les plages
numériques de ses supports un programme rendant impossible la copie non
autorisée, et par voie de conséquence, la lecture de l’œuvre sur certains
matériels de lecture. Certes, il existe des logiciels libres de
contournement mais ils tombent sous la qualification de contravention de
quatrième classe, contrairement aux accords conclus lors de l’examen de la
loi DADVSI.

Celle-ci nous permet de juger de l’échec des traités OMPI. Ceux-ci étaient
censés protéger le droit d’auteur et les droits voisins des artistes, en
protégeant juridiquement les DRM. Or il est désormais avéré que ces DRM ne
sont d’aucune protection pour les droits des créateurs et que les mesures
de contournement, comme nous l’avions souligné sur l’ensemble de ces
bancs, se diffusent à grande vitesse sur Internet. Aujourd’hui, les majors
de la musique elles-mêmes abandonnent ces dispositifs de contrôle
anti-copie, rejetés par les consommateurs. Par ailleurs, n’étant pas
parvenues à imposer leur DRM aux autres, elles ont dû trouver un accord :
quatre majors ont ainsi lancé « Myspace » sans DRM. Mais si les DRM sont
abandonnées, les plateformes multimédias demeurent inaccessibles aux
logiciels libres, et on ne voit toujours rien venir pour la rémunération
des artistes

Pendant le débat sur la loi DADVSI, j’avais proposé au nom des députés
Verts d’instaurer un prélèvement sur les fournisseurs d’accès Internet et
les sociétés de téléphonie mobile afin de créer un fonds de rémunération
des auteurs et interprètes – idée « inacceptable » reprise par le
Gouvernement pour compenser la suppression de la publicité à la
télévision. Si elle avait été retenue, cette proposition aurait très
nettement amélioré la situation des auteurs et interprètes.

Le principe même de protection juridique des DRM a créé une insécurité
juridique contre le logiciel libre et même une distorsion de concurrence :
des sociétés françaises du logiciel libre risquent des poursuites si elles
proposent un simple lecteur DVD avec leur système d’exploitation en
logiciel non propriétaire. Quant aux députés français, leurs postes de
travail sont équipés en logiciels libres mais la loi DADVSI les oblige à
utiliser un logiciel propriétaire pour la lecture d’un DVD !

Il est inquiétant que le Gouvernement envisage d’aller plus loin encore,
en préparant un projet de loi inspiré de la mission Olivennes sur les
téléchargements. __Il s’agit de mettre en place la fameuse « riposte graduée
», avec menace de suspension d’abonnement Internet. Toutefois, ce matin,
le Parlement européen a considéré dans une résolution que la suspension
d’une connexion Internet est disproportionnée.__

D’une part, les traités OMPI sur la protection des DRM sont obsolètes
techniquement et commercialement. D’autre part, leur idéologie répressive,
liberticide et anti-concurrentielle – au seul bénéfice de quelques
multinationales – est toujours à l’oeuvre. Pour cette double raison, le
groupe GDR ne votera pas la ratification de ces deux traités.


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