Après 41h40 de séance, la loi Hadopi a donc été votée. Nous n’étions que 16 députés à ce moment-là ! La fatigue, il faut bien l’avouer, la difficulté de siéger du lundi après-midi à la nuit du jeudi avec des nocturnes tous les soirs (minuit, 2 heures du matin, 1 heure du matin, et 22h50 la dernière nuit après une séance marathon de 7h45 avec en tout et pour tout 2 pauses de 5 mn !), la complexité du sujet au carrefour du droit, de la culture et de l’informatique ne justifie pas tout. Certes être plus nombreux sur les bancs de l’opposition n’aurait pas inversé le sens du vote. D’autant que de nombreux députés socialistes auraient vraisemblablement émis le même vote positif qu’au Sénat.
Ce texte laisse un goût amer car il ne va pas résoudre le problème de la rémunération artistique, contrairement à ce que le gouvernement a une fois de plus voulu faire croire aux artistes, mais il crée un précédent sur les atteintes à la neutralité d’Internet qui sont impressionnantes.
Ci-après mon explication de vote.
Pour toutes celles et ceux qui chercheraient plus d’informations, vous pouvez retrouver tous les comptes rendus de débats sur [le site de l’Assemblée nationale|http://www.assemblee-nationale.fr/|fr] ou chercher toutes les réactions qui ont pu circuler en tapant Hadopi sur n’importe quel moteur de recherche.
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__M. le président.__ La parole est à Mme Martine Billard, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
__Mme Martine Billard.__ Malgré les nombreuses heures que nous avons consacrées à l’examen de ce projet de loi, nous sommes ce soir un peu déçus, tant par la forme – ce texte est mal écrit et pose bien des problèmes juridiques – que par le fond.
Après le fiasco de la loi DADVSI, dont le Parlement attend toujours le bilan qui devait lui être remis selon les termes mêmes de la loi, vous continuez de courir derrière la chimère du contrôle absolu d’Internet. Avec la loi DADVSI, vous avez voulu faire croire aux auteurs que les DRM allaient régler tous les problèmes. Vous recommencez avec la loi HADOPI qui, par bien des aspects, sera totalement inapplicable.
Comme vous ne voulez pas que la justice intervienne, il sera impossible de prouver le délit de téléchargement illicite : vous avez donc été obligés d’inventer l’incrimination de non-sécurisation de connexion à Internet, dont vous confiez la constatation à une autorité administrative, l’HADOPI. Vous obligez ainsi tous les citoyens de ce pays à sécuriser leur connexion, alors même que l’immense majorité des entreprises et des administrations, qui disposent pourtant de services informatiques, n’y arrivent pas. Vous supposez que tout citoyen français est capable de maîtriser suffisamment l’informatique pour répondre devant la loi du fait que son ordinateur et sa connexion à Internet ne peuvent pas être piratés.
Vous introduisez une labellisation des logiciels de sécurisation qui provoque de fait une discrimination à l’encontre du logiciel libre. Ces logiciels, qui devront être installés sur les ordinateurs de tout un chacun, seront constamment en liaison avec les fournisseurs d’accès à Internet et ne pourront pas être désactivés sans que l’HADOPI ne soit immédiatement informée : vous créez le mouchard universel et obligatoire, ce qu’aucun pays n’a osé faire. Ceux qui avaient choisi la riposte graduée ont reculé, en raison de difficultés techniques que vous avez constamment niées. Ces difficultés techniques ne concernent pas seulement les logiciels de sécurisation, mais aussi la preuve par l’adresse IP. Nous allons nous retrouver avec un tiers d’innocents – c’est la proportion d’erreurs constatées dans les pays qui s’y sont essayés – qui seront sanctionnés parce qu’ils n’ont pas été en mesure de maîtriser leur ordinateur et leur connexion à Internet.
Vous introduisez une rupture d’égalité devant la loi, puisque les mails d’avertissement et les lettres recommandées ne seront pas envoyés automatiquement lorsqu’il y aura soupçon de téléchargement illicite – M. le rapporteur nous l’a répété à plusieurs reprises. Nous ne savons toujours pas en fonction de quels critères ces avertissements seront envoyés.
Autre rupture d’égalité devant la loi, les 3 millions de Français disposant de connexions non dégroupées ne pourront pas avoir de suspension de leur accès à Internet, qui entraînerait de facto la coupure de la télévision et du téléphone, ce qui est contraire à la loi.
En fait, vous imaginez pouvoir créer l’Internet dans un seul pays. C’est assez impressionnant : on a l’impression que la France est une île. Vous allez même jusqu’à créer l’Internet d’État, puisque la France, l’un des vingt-sept pays de l’Union européenne, va imposer aux moteurs de recherche d’organiser le référencement d’un certain nombre de sites !
Ce texte va-t-il régler le problème de la rémunération des auteurs ? Non. Comme celles de la DADVSI, les mesures que vous proposez ne peuvent pas fonctionner. Vous avez systématiquement rejeté les propositions qu’ont avancées l’opposition ou le groupe Nouveau Centre. Nous allons donc, dans deux ou trois ans, nous retrouver dans la même situation. Je suppose que vous proposerez – si, hélas, vous êtes encore au Gouvernement –…
…une nouvelle loi dont le nom se terminera aussi en i.
Pour conclure, je voudrais dire aux auteurs et aux ayants droit qu’il faut, en effet, défendre le droit d’auteur, mais que cela passe – c’est d’ailleurs le seul point d’accord que j’ai eu avec nos collègues de l’UMP – par le développement des offres et par la baisse des prix. Tant que les prix seront ce qu’ils sont, vous serez obligés de construire des usines à gaz pour essayer de contenir le flot d’Internet : vous n’y arriverez pas.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera donc contre le projet de loi.