Les peines planchers pour les récidivistes sont-elles une réponse adaptée ?

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La défense des peines planchers se fonde sur une analyse erronée de la délinquance et des réponses apportées à celle-ci. Le candidat Nicolas Sarkozy a surexploité quelques faits divers (l’affaire Nelly Kremel, par exemple) et joué sur l’émotion qu’ils suscitaient, pour défendre sa proposition.
Combien de fois a-t-on entendu cette rengaine : « 50% des crimes et délits sont commis par 5% des délinquants, et ils restent impunis ? A la vingtième récidive, on ne peut pas relâcher les gens ? »

Mais la réalité est bien différente :
Le chiffre avancé (50% des crimes et délits commis par 5% des délinquants) est faux, il est issu d’une recherche sur les mineurs, c’est une simple hypothèse. La récidive au sens strict de la loi1 ne représente que 5% des condamnations prononcées par les tribunaux ; au sens large, la réitération d’une infraction (être condamné à nouveau, même pour une infraction qui n’a rien à voir avec la première) représente 30% des condamnations.
les juges sont déjà durs avec les récidivistes : 80% des récidives donnent lieu à de la prison ferme.

Les peines planchers, fondées sur une vision tronquée de la délinquance, reposent aussi sur l’illusion que la loi pourrait tout prévoir, alors qu’elle n’est pas faite pour les cas particuliers (les faits divers abondamment cités) mais pour fixer un cadre général.

Le rôle du juge est comparable à celui du médecin : quand un médecin constate une rechute, il ne double pas automatiquement la dose de médicaments, mais il approfondit les examens. Au contraire du principe d’automaticité de la peine, le rôle du juge est d’individualiser, d’adapter les sanctions, ce qui ne veut pas dire être moins sévère. Les quelques jeunes multirécidivistes ne doivent pas servir à justifier des mesures inadmissibles. Il manque aujourd’hui énormément de moyens en terme d’éducateurs pour suivre les jeunes qui commencent à dériver, de places en structures adaptées pour ceux qu’il faut sortir de leur quartier ou de la rue.

La mise en place des peines planchers à l’étranger a d’ailleurs donné lieu à des résultats aberrants (25 ans d’emprisonnement pour un vol de pizza aux Etats-Unis2). Fondée sur une vision purement répressive, l’application des peines planchers conduirait à une inflation carcérale sans précédent.

Enfin, faut-il le rappeler, les peines planchers, automatiques, sont contraires à notre constitution. Cette mesure s’oppose aux principes constitutionnels de proportionnalité de la peine et d’individualisation des peines.

Si elles suscitent des réactions de rejet de la part des magistrats, ce n’est pas par réflexe corporatiste, mais bien parce qu’elles traduisent une méconnaissance du rôle du juge et de la place de la justice dans notre société : le temps de la justice doit être celui d’une respiration, qui permette de prendre en compte la complexité des situations et toutes les nuances de la vie des individus, ce que vient contredire l’automatisation des peines. Les premiers refus du principe d’automaticité, au début du XIXème siècle, n’émanaient pas de juges professionnels mais de jurys, qui préféraient déclarer des coupables innocents plutôt que de les voir condamner à des peines fixes trop fortes dont ils ne voulaient pas.

C’est pourquoi, au terme de longues discussions, le nouveau code pénal français en vigueur le 1er mars 1994 a supprimé la notion même de minimum de peine, la loi se contentant de fixer un maximum.


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