Chili : l’espoir est de retour

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Quelle émotion hier soir. Quarante sept ans après le coup d’état militaire du général Pinochet qui mettait fin au gouvernement d’Unité Populaire du président Salvador Allende, le Chili retrouve un président de gauche. Je n’ai pu m’empêcher de penser à tous les camarades tombé.e.s dans la lutte contre cette dictature, aux camarades disparus, aux prisonniers de la révolte d’octobre 2019, aux Mapuches en lutte pour récupérer leurs terres ancestrales et refuser le pillage de la nature.

Je pense tout particulièrement à mon ami Sergio Ruiz Lazo disparu le 21 décembre 1984, cela fera 37 ans demain.

Ce qu’il y a de fantastique au Chili c’est que les anciens ont continué à transmettre leur expérience mais que de nouvelles générations se sont levées, comme lors du mouvement étudiant de 2011 pour un enseignement public, gratuit et laïc, dont est issu Gabriel Boric tout comme le député Giorgio Jackson de Renovacion Democratica et Camila Vallejo et Karol Cariola toutes deux du PC chilien. Puis une nouvelle génération a encore pris le relais notamment avec le mouvement populaire démarré en octobre 2019 lors de l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago mais qui s’est très vite transformé en mouvement populaire plus général : no son 30 centavos son 30 años. Les lycéens ont refusé de payer bientôt suivi par l’ensemble de la population avec le soutien des travailleurs du métro.

Le 18 octobre le gouvernement décrète l’état d’urgence. La répression va faire plus de vingt morts et des centaines de blessés. Mais la mobilisation s’étend et unifie l’ensemble des luttes comme si cette hausse de tarif avait été la goutte d’eau de trop, sous la bannière « Grève générale ! Assemblée constituante souveraine, maintenant ! »

25 Octobre 2019 la “marcha la más grande de Chile” avec près de 2 millions de manifestants à Santiago au son de Chile despertó et Nueva Constitución

Il faut savoir que la Constitution actuelle date de l’époque de Pinochet et même si elle a subi plusieurs révisions depuis, celles-ci n’ont pu être que limitées et n’ont pas remis en cause le modèle ultra-libéral inscrit dans la Constitution sous l’impulsion de Milton Friedman économiste de l’école de Chicago. C’est pourquoi depuis des années le mot d’ordre de Assemblée constituante est devenu si présent. Le mouvement d’octobre 2019 a arraché une modification permettant de convoquer un référendum pour décider ou pas de la constitution d’une assemblée constituante. Pour cause de COVID, ce référendum n’a finalement eu lieu qu’en octobre 2020. Le texte soumis au référendum a beaucoup été critiqué car il contenait un seuil de blocage d’un tiers de sièges au sein de la Convention Constituante et ce alors que la droite chilienne faisait campagne contre le changement de constitution. Pour la première fois une assemblée est élue (78% de pour) avec l’obligation d’être paritaire, 17 sièges ont été réservés aux communautés indigènes, Elisa Loncon, universitaire Mapuche, en a été élue présidente et le seuil de blocage n’a pas été atteint par ceux qui refusent le changement de constitution.

L’enjeu de cette élection présidentielle était énorme. La poursuite des travaux de la Convention constituante était en danger en cas d’élection d’un des deux candidats de la droite.

Le premier tour a vu s’affronter plusieurs candidats dont plusieurs représentants des forces politiques traditionnelles de ces dernières décennies. Sebastián Piñera, le président de droite ne pouvait pas se représenter puisque la Constitution chilienne limite le mandat présidentiel à 4 ans non renouvelable immédiatement. Son remplaçant Sebastián Sichel est battu dès le premier tour avec 12,79%. Le candidat de l’extrême-droite se revendiquant de Pinochet et totalement opposé à la Constituante, José Antonio Kast est arrivé en tête avec 27,9% contre 25,8% pour Gabriel Boric. Il proposait de réduire encore plus les dépenses publiques, de diminuer les impôts, de maintenir le régime de retraite par capitalisation qui fait l’unanimité des salariés contre lui, de supprimer le ministère de la condition féminine et était opposé au mariage pour tous, voulait interdire l’avortement, donner plus d’aides sociales aux femmes mariées qu’aux autres, et dans un sinistre remake du Plan Condor de sinistre mémoire, collaborer avec les gouvernements étrangers pour poursuivre les opposants de gauche considérés comme radicalisés.

Il me semble aussi important de préciser dans quel cadre Gabriel Boric était candidat car après sa victoire on voit beaucoup de réécriture de l’histoire ici en France. Il avait été élu député en 2014 contre la droite et contre la Concertación alliance de la Démocratie Chrétienne (soutient de Pinochet en 1973), du PS et des Radicaux, le seul de ce cas vu le système électoral en vigueur à l’époque. Il appartient au Frente Amplio et a été choisi comme candidat à la présidentielle suite à une primaire avec Daniel Jadue candidat du Parti communiste chilien dans le cadre de l’alliance Apruebo Dignidad.

De son côté le Parti socialiste chilien a lui préféré soutenir la candidate de la Démocratie Chrétienne Yasna Provoste qui a été sèchement éliminée au 1er tour avec 11,61% des voix.

Certains ont accusé Gabriel Boric de manque de radicalité. Mais il faut savoir que le Chili est le pays le plus inégalitaire de l’OCDE et que tout est privé, l’éducation, la santé, la retraite … Il promet d’en finir avec le néo-libéralisme et de « remettre l’État au cœur des politiques publiques pour garantir des conditions de vie dignes »Pour cela il promeut une réforme fiscale pour un meilleur partage des richesses, un meilleur accès à la santé, à l’éducation, ainsi que la fin des AFP (système de retraites par fonds de pension) pour un système par répartition.

Maintenant il est indéniable qu’il ne va pas avoir les coudées franches. Il n’y a pas de majorité au Congrès et la droite ne va pas s’avouer vaincue aussi facilement. Aussi seule la poursuite de la mobilisation populaire en soutien aux mesures proposées par Boric permettra de les mettre en œuvre.

¡Chile despertó! Le Chili s’est réveillé.

Vous pouvez retrouver aussi mon article sur l’élection de 2017 et le bilan totalement décevant de Michelle Bachelet https://martinebillard.fr/chili-lirruption-du-frente-amplio/


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