Tout député a un droit individuel d’amendement reconnu par la Constitution!

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Intervention de Martine Billard en discussion générale (mardi 13 janvier 2009, séance de nuit) sur le projet de loi organique sur le droit d’amendement des parlementaires (application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution).
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par quelques remarques de contexte.

Alors que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a prévu de nombreuses lois organiques, l’ordre dans lequel ces différentes lois sont présentées au Parlement n’est pas anodin. Comme par hasard en effet, __la première a été celle qui permettait aux ministres de retrouver leur siège de parlementaires__.

Le fait que cette disposition soit rétroactive – puisqu’elle s’applique aux ministres en poste – est particulièrement choquant. La manière urgente avec laquelle la majorité a mis cette disposition en œuvre montre jusqu’où elle est capable d’aller, dans les petits arrangements entre amis, pour faciliter le prochain remaniement gouvernemental. Mais voilà : le Conseil constitutionnel a un tout petit peu freiné ce tour de passe-passe, en rendant obligatoire de nouvelles élections au cas où le ministre remercié ne souhaiterait pas redevenir parlementaire. Il n’y aura donc pas – et c’est heureux – deux catégories de parlementaires : ceux qui doivent se faire élire et ceux qui auraient pu se contenter d’attendre au chaud la place laissée par la promotion éclair, mais momentanée, au Gouvernement d’un titulaire un peu trop encombrant.

L’urgence a aussi été déclarée pour __le charcutage des circonscriptions législatives__, le tout, bien sûr, sous couvert de l’application de l’article 25 de la Constitution concernant la nouvelle commission indépendante appelée à donner un avis public. Cependant, là encore, le Conseil constitutionnel a émis des réserves qui vont contrarier quelque peu vos options.

Les éléments de censure constitutionnelle ne garantissent malheureusement pas que le redécoupage à venir respectera l’ensemble de la diversité politique du pays, mais les tripatouillages sur la taille des circonscriptions devraient toutefois être limités, puisque le Conseil a réaffirmé que le critère premier était l’équité en termes de représentation du nombre d’habitants.

En revanche, beaucoup de dispositions prévues par les nouveaux articles de la Constitution, qui pourraient contribuer à valoriser le travail du Parlement, à dynamiser la vie démocratique et à garantir l’État de droit, mais qui appellent, elles aussi, une loi organique, attendront encore. Il en est ainsi, notamment, des dispositions de l’article 11 relatives au __référendum d’initiative partagée parlementaire et populaire__, du droit de saisine par voie de __pétition populaire du Conseil économique, social et environnemental__, des dispositions relatives au contrôle parlementaire sur les nominations, du recours a posteriori par voie d’exception pour inconstitutionnalité ou de l’instauration du défenseur des droits.

Concernant les dispositions contenues dans le projet de loi organique, et qui ont pour objectif de permettre la réécriture des règlements des deux assemblées, nous ne pouvons qu’être surpris et indignés de voir que le Gouvernement est passé outre le travail de réflexion qui avait été lancé par les groupes de travail mis en place dans les deux assemblées. Cela est d’autant plus grave que, dans la nôtre, des points de consensus avaient été trouvés entre les différents groupes politiques, même si d’autres points continuaient à faire dissensus. Une fois de plus, le Parlement est bafoué par ce Gouvernement qui ne supporte pas, chez les élus, la moindre tentative de réflexion autonome.

L’article 34-1 de la Constitution sur__ le droit de résolution du Parlement__, auquel est consacré le chapitre Ier du projet de loi organique, trouve une application restrictive. Les délais prévus retirent tout dynamisme et toute réactivité à ce nouvel outil parlementaire qu’est le droit de résolution et ne garantissent pas un droit de tirage raisonnable par session aux groupes d’opposition ou aux groupes minoritaires pour qu’ils puissent mettre au débat, à leur initiative, les sujets qu’ils souhaitent.

Le chapitre II du projet de loi organique, portant application de l’article 39 de la Constitution, prévoit l’obligation de __présenter les projets de lois assortis d’une étude d’impact__. Ce serait une avancée susceptible de valoriser le travail parlementaire en garantissant les mesures de transparence et d’information du législateur, à condition que soient levées les restrictions introduites par le Gouvernement sur plusieurs types de projets de loi : projets de révision constitutionnelle, projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale, de programmation, de ratification d’ordonnances, ou relatifs aux états de crise. De plus, l’obligation de publication des études d’impact ne s’appliquera qu’à partir d’octobre prochain.

Venons-en au chapitre III du projet de loi, qui porte sur l’application du nouvel article 44 de la Constitution et __sur l’exercice du droit d’amendement__.
L’objectif principal de l’article 13 est de museler l’opposition – vous l’assumez publiquement –, mais il a aussi pour but d’empêcher les dissidences dans vos rangs, mesdames et messieurs de la majorité, comme si l’octroi de quelques droits à la majorité parlementaire par la révision constitutionnelle de juillet devait absolument être compensé par le retrait de droits propres non seulement aux membres de l’opposition, mais aussi à tout parlementaire souhaitant s’exprimer à titre individuel.

Les grands discours sur le renforcement des pouvoirs du Parlement sont, une fois de plus, confrontés à une triste réalité de mépris institutionnel. Quand le Président de la République a décidé, finie la réflexion démocratique et place aux décisions autoritaires! Quant au timing choisi, serait-il dû à son incapacité à imposer, au rythme qu’il souhaitait, la discussion du texte de loi sur le travail du dimanche? On peut se poser la question.

Quand un texte provoquera beaucoup de remous au sein de la majorité, il suffira d’utiliser __le nouveau dispositif du «temps muselé »__. En effet, le temps étant octroyé globalement par groupe, tout dissident pourra se voir supprimer son temps de parole au nom de l’intérêt du groupe ou le voir réduit à la portion congrue. Quant à la possibilité pour tout parlementaire de prendre la parole pour défendre ses amendements, elle n’est plus garantie.

Cet article 13 est __contraire à la Constitution__ qui, en son article 27, indique : «Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel». Ces phrases signifient que le parlementaire ne peut se contenter de lever mécaniquement la main pour voter : qu’il soit de la majorité ou de l’opposition, il a non seulement le droit mais aussi le devoir de voter en son âme et conscience. Nos concitoyens nous interpellent d’ailleurs régulièrement sur nos votes, au nom de ce droit.__ À l’avenir, devrons-nous leur expliquer que nous pouvons certes voter, mais que nous ne pouvons plus défendre nos idées, celles pour lesquelles ils nous ont élus ?__

__Tout député a un droit individuel d’amendement reconnu par la Constitution__. Celui-ci implique la liberté d’expression du parlementaire par rapport à son groupe politique, ainsi que celle du parlementaire non inscrit. Ce droit individuel ne peut valablement s’exercer que s’il va de pair avec le droit de défendre ses amendements. À l’heure actuelle, tout député peut déposer l’amendement de son choix, ce qui permet l’expression de la diversité des opinions et la possibilité pour les députés non inscrits de s’exprimer.

La réforme que vous proposez enlèvera de sa vitalité au débat démocratique, car elle ne permettra plus l’expression dissidente. Elle met en place une véritable caporalisation des groupes politiques.

Le droit d’amendement permet d’ajuster ou de préciser la loi. Rappelez-vous le projet de loi sur le handicap : combien d’amendements du rapporteur et de la majorité a-t-il fallu pour que ce texte prenne sa forme définitive ?

Le droit d’amendement permet aussi de porter un débat devant le public et, le cas échéant, de donner à la société la possibilité de se mobiliser contre un texte écrit à la va-vite, dans l’urgence d’une émotion médiatique à laquelle le pouvoir exécutif pense répondre.

Le refus du mandat impératif signifie que chacun a le droit et le devoir de s’exprimer pour défendre ses idées. Or comment remplir ce mandat sans pourvoir prendre la parole ? Vous rabaissez le Parlement en le transformant en chambre d’enregistrement. Ce projet de loi sape les piliers de la démocratie représentative comme les ont établis les philosophes politiques de renom tel que Bernard Manin. L’interdiction du mandat impératif est liée à la liberté et à la publicité du débat parlementaire. Alors que l’initiative des lois appartient pour l’essentiel à l’exécutif, le principal outil d’intervention du législateur est le droit d’amendement. Néanmoins __cette intervention ne peut se réduire au dépôt et au vote, hors de l’épreuve de la délibération publique. La démocratie représentative repose sur la vertu du débat qui permet de corriger, d’infléchir les positions initiales avant la mise au vote.__

Lors de ses vœux au Parlement, le 7 janvier, le Président de la République a osé dire que les parlementaires ne devaient pas se laisser dicter leur conduite par leur discipline de groupe. Quelle impudence ! Il est vrai que, dans son esprit, cela ne devait concerner que les députés de l’opposition. Mais comment ne pas se laisser dicter sa conduite par la discipline de groupe, si l’expression individuelle par le droit d’amendement est de fait supprimée ? Il faudrait savoir. Peut-on concevoir un parlementaire qui vote différemment de son groupe mais qui n’a pas les moyens d’expliquer le sens de son vote ? Pensez-vous sérieusement que cela sera compris par nos concitoyens ?

Vous prétendez que cette restriction du droit au débat serait la conséquence des pratiques d’obstruction de l’opposition. La présentation de statistiques à ce sujet est trompeuse. Par exemple, sur les vingt dernières années, les temps de séance les plus longs pour un projet ont été répartis de façon similaire sous les gouvernements de droite ou de gauche. Quant au nombre d’amendements déposés rapporté au nombre de jours de séance, il n’a pas de signification réelle. Par exemple, en 2005-2006, il y a eu 10.196 amendements déposés, soit la moyenne basse des quinze dernières années, dont 3.317 ont été adoptés, soit un tiers, ce qui représente un pourcentage élevé. Pourtant, le nombre de jours de séance correspondant est parmi les plus élevés des dix dernières années.

Vous nous dites qu’il y a le travail en commission. Cependant, en se réunissant au plus six heures par semaine, les commissions n’ont ni les moyens ni le temps d’examiner attentivement les textes présentés. Et tant qu’il n’y aura pas de réduction du cumul des mandats, rien ne garantit que les députés seront plus présents en commission qu’ils ne le sont en séance.

Parallèlement à la limitation des droits du Parlement, aucune restriction n’est apportée à ceux du Gouvernement. Ce dernier conserve ainsi le droit de déposer des amendements en séance et de réserver des articles pendant la discussion, sans oublier que l’article 45 de la Constitution permet maintenant de déposer des amendements n’ayant qu’un lien indirect avec le texte.

Désormais, le Gouvernement pourra continuer à déclarer l’urgence tout en imposant un temps global limité pour le débat. Ses prérogatives sont ainsi renforcées au détriment du Parlement.

Si l’on veut mieux organiser le travail parlementaire, une solution très simple s’impose, sur laquelle la plupart des députés de la majorité comme de l’opposition s’accordent : l’abandon de la procédure d’urgence par le gouvernement sauf dans de très rares exceptions. Comment voulez-vous produire un travail sérieux et des lois bien écrites lorsque nous avons huit jours entre l’accès au texte de loi et son examen en séance ?

A vous écouter, maintenant que des délais sont fixés entre le dépôt d’un texte et son examen en commission, il n’y aurait plus de problème et rien ne justifierait de longs débats en séance. Tout cela est bien beau, mais__ à condition que le Gouvernement n’utilise pas systématiquement la procédure d’urgence, pour éviter les deux lectures, sur la quasi totalité des lois importantes, comme il l’a fait depuis juin 2007__. Loi en faveur des revenus du travail : urgence ! Loi sur le RSA : urgence ! Accueil dans les écoles en cas de grèves : urgence ! Loi sur le temps de travail : urgence ! Modernisation de l’économie : urgence ! Droits et devoirs des demandeurs d’emploi : urgence ! Modernisation du marché du travail : urgence ! Et on pourrait continuer ainsi.

Y compris sur des textes que nous n’avons pas encore eu le temps d’examiner, l’un sur le logement, l’autre sur les hôpitaux, le Gouvernement a déclaré l’urgence.
Et même en abusant de la procédure d’urgence, le Président de la République trouve que cela ne va pas assez vite. Pourtant, 72 textes ont été adoptés par le législateur depuis juin 2007, sans compter les conventions internationales, ce qui est tout à fait équivalent aux nombres de textes adoptés lors des deux législatures précédentes.

La qualité des lois et leur efficacité dépend-elle du nombre de lois adoptées et de leur rapidité d’adoption ? Franchement non ! Ce serait même plutôt le contraire.
Aujourd’hui, il y a plutôt trop de lois, de lois mal écrites et, qui plus est, impossibles à mettre en œuvre, faute des textes d’application nécessaires. Le Sénat a ainsi relevé, fin 2008, qu’un quart seulement des dispositions réglementaires d’application des lois adoptées lors de l’année précédente, avaient été prises : 24,6 % en 2007-2008 contre 32,1 % l’année précédente. Le comble est que le taux d’application des lois adoptées après déclaration d’urgence n’est que de 10 %, parce que l__e Gouvernement ne publie pas les décrets nécessaires__, après avoir fait travailler le Parlement au pas cadencé, avec une seule lecture dans chaque assemblée !
Et que de fois nous avez-vous présenté un nouveau projet sur le même sujet six mois plus tard tant la loi votée était mal rédigée ? Tous les députés le disent, ceux de la majorité comme ceux de l’opposition, lorsqu’ils s’expriment dans les couloirs : les lois sont mal rédigées et nous n’avons pas le temps de les travailler sérieusement. Elles sont souvent prises sous le coup de l’émotion.

Seulement voilà,__ le Président de la République est pressé. Il est comme les petits enfants__ : il veut tout, tout de suite, et en plus en trépignant sous l’emprise de ses impulsions. Ce qu’il veut, ce sont beaucoup de procédures d’urgence, une opposition muselée et une majorité godillot qui ne sorte pas du rang.

Dans ces conditions, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront contre ce projet de loi organique.____


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