Retour du Chili

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J’ai effectué un séjour au Chili pendant 8 jours à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle et des élections législatives et sénatoriales du 13 décembre. Mes liens avec le Chili datent du 11 septembre 1973, date noire du coup d’état de Pinochet qui a vu le palais présidentiel de la Moneda être bombardé par l’armée putschiste et mourir le Président élu Salvador Allende.

Le palais de la Moneda reconstruit

Des milliers d’opposants seront assassinés dans les semaines, les mois et les années suivantes, 3 000 seront portés disparus et des milliers subiront arrestations et tortures. J’ai donc passé toutes ces années dans la solidarité avec le Chili, ce qui m’a amené à effectuer plusieurs voyages. Celui-ci était le cinquième et m’a permis comme à chaque fois de retrouver de bons amis, en général anciens réfugiés politiques en France ayant fait le choix de rentrer au Chili.
__Quelques éléments pour comprendre le contexte politique de ces élections :__

Depuis la réforme constitutionnelle de 2005, nul ne peut occuper le siège de président de la République plus d’un mandat consécutif soit 4 ans. La présidente sortante Michelle Bachelet, socialiste, ne pouvait donc pas se représenter. Depuis la fin de la présidence à vie de Pinochet en 1989, une coalition de plusieurs partis regroupant la Démocratie Chrétienne, le Parti Socialiste et des partis sociaux-démocrates gouvernent ensemble au sein d’une coalition dénommée “La Concertacion”. En face la droite comprend 2 partis, RN (Renovacion nacional) qu’on peut comparer à ce qui était Démocratie Libérale de Madelin et la UDI (Union democratica independiente) considéré comme le parti de l’Opus Dei au Chili, en gros un parti ultra-catholique et soutien de toujours du pinochétisme. Enfin une partie de la gauche, dont le Parti communiste n’ont plus de représentation au Parlement depuis le coup d’État.

Il faut savoir que l’idéologue de la dictature, Jaime Guzman, par ailleurs dirigeant de la UDI, a inventé une constitution qu’on pourrait qualifier d’auto-bloquante. Les seules réformes qui ont pu être faites depuis son adoption, ont consisté à supprimer la présidence à vie pour Pinochet par référendum en 1988, référendum perdu par Pinochet à son grand étonnement, et la suppression des sénateurs à vie en 2005. Mais le système électoral est très spécial : dénommé binominal à un tour, car chaque circonscription élit 2 députés en un seul tour. Celui qui obtient la première majorité est élu, puis le deuxième de la même liste à condition qu’il ait le double des votes du 1er arrivé en tête de la liste arrivée en deuxième, sinon c’est celui la liste arrivée en deux qui a eu le plus de voix qui est élu. Vous n’avez pas compris ? c’est normal !

Exemple donc :

soit la liste A avec deux candidats A1 et A2

la liste B avec deux candidats B1 et B2

Premier élu celui qui fait le plus de voix. Admettons que cela soit A1. Le deuxième élu sera A2 s’il fait le double de voix de B1 ou B2. Sinon sera élu celui qui entre B1 et B2 fera le plus de voix ! ouf !

Le système a en fait pour but de faire élire dans chaque circonscription un élu de droite et un de la Concertacion, et pour quelques exceptions deux élus de droite ou deux de la Concertacion. Les deux coalitions, droite et Concertacion, n’ont donc aucun intérêt à changer de système puisque ainsi quel que soit leurs résultats, ils sont quasiment assurés d’avoir toujours des députés. C’est donc un formidable obstacle à tout renouvellement politique et à l’expression de la pluralité.

__Un nouveau paysage politique__

Le Chili est un des pays les plus inégalitaires du monde : les revenus des 10% les plus riches sont 31,3 fois supérieurs aux revenus des 10% les moins riches. Les parlementaires chiliens gagnent plus que les français et leur indemnité représente 25 fois le salaire minimum chilien contre 5 fois en France.

Pour la présidentielle, la droite a présenté celui qui avait perdu la dernière fois, Sebastian Pinera, ayant fait fortune – estimée à 1 milliard – de manière pas très claire sous Pinochet et mêlé pour cela à des scandales. C’est entre autres, le propriétaire de la compagnie d’aviation Lan Chile et de la plus importante chaîne de télévision privée.

Du côté de la Concertacion, le candidat choisi a été Eduardo Frei de la Démocratie Chrétienne, déjà président de 1994 à 2000 et qui avait terminé son mandat avec une cote de popularité au plus bas.

Face à cette situation, deux candidats issus du parti socialiste ont quitté la Concertacion pour se présenter :
* Jorge Arrate est devenu le candidat d’une alliance dénommée “Juntos podemos – Frente Amplio” (Ensemble nous pouvons- Front large) regroupant des groupes issus du PS (dont un nouveau parti créé par des sortants du PS : le PAIZ, parti de gauche en espagnol) ainsi que le parti communiste. Les principaux axes de campagne étaient la renationalisation du cuivre et la convocation d’une assemblée constituante. Sa campagne était clairement orientée à gauche face à un candidat de la Concertacion, Eduardo Frei, au centre.

* Marco Enriquez-Ominami, surnommé MEO, fils d’un opposant très connu assassiné par la dictature, Miguel Enriquez dirigeant du MIR (mouvement de la gauche révolutionnaire). Il s’est présenté comme un candidat transversal, au dessus du clivage droite-gauche, voulant rassembler les meilleures compétences de chaque camp. Il a surfé sur le ras le bol de 20 ans de Concertacion et d’un certain rejet de la classe politique. Son principal conseiller économique, un économiste ultra-libéral l’a poussé à proposer une privatisation partielle de la compagnie du cuivre, Codelco. Devant le tollé que cela a suscité, il a reculé, mais cela est significatif du flou de ses propositions.

dernier meeting de Jorge Arrate

Les divers candidats ne partaient pas égaux devant les médias : entre un Pinera, propriétaire de chaîne de télévision, un Frei candidat du gouvernement sortant, un Enriquez-Ominami, chouchou des médias et dont la femme, une présentatrice télé très connue, est très présente dans la campagne, Jorge Arrate, le candidat de Juntos Podemos était plus que défavorisé.

Dans les jours précédant le vote, à chaque fois que je croisais des amis, la même question revenait toujours : tu es pour Arrate ou pour Meo, et les discussions étaient vives entre les deux options, entre celles et ceux qui ne voulaient plus rien savoir de la Concertacion et ceux qui refusaient d’envisager des alliances à droite, entre ceux qui pensaient que Meo pouvait passer devant Frei au premier tour et ceux qui préféraient voter pour le candidat le moins éloigné de leurs convictions.

Le jour de l’élection, j’ai donc accompagné une amie au bureau de vote. Première surprise, au Chili, les femmes ne votent pas au même endroit que les hommes, les lieux sont totalement séparés. Ensuite, le moins que l’on puisse dire c’est que tout cela revêt un caractère nettement moins formel qu’en France : pas de profession de foi ni de bulletin de vote envoyé à domicile, pas de panneaux avec les affiches des candidats devant les bureaux de vote. Tout dépend donc des capacités financières de chaque candidat.

Dans les lieux accueillant les bureaux de vote, les lycées, universités mais aussi le stade national (de sinistre mémoire où tant de militants de gauche dont Victor Jara, chanteur très populaire, furent assassinés dans les premiers jours du coup d’État militaire), l’ambiance était plutôt à la bonne franquette, aidée en cela par un ciel bleu et la chaleur qui poussait à flemmarder en attendant que la journée s’écoule.

Les résultats ont été connus vers 20h30 (les bureaux de vote avaient fermé vers 17 heures), et pour ma part j’avais fait le choix de me rendre au local de campagne de Jorge Arrate, dont le score de 6,21% est un réel succès car la gauche chilienne n’a jamais atteint ce niveau depuis 1973. Dans la foulée, l’élection de 3 députés communistes, élus dans le cadre d’un accord avec la Concertacion, vient rompre pour la première fois l’exclusion dont le parti communiste était victime depuis le retour de la démocratie.

Par contre, Marco Enriquez-Ominami, bien qu’obtenant 20,13% à la présidentielle n’obtient ni députés ni sénateurs. Cette situation montre jusqu’à l’absurde combien est obsolète la constitution en vigueur.

Malheureusement le candidat de la droite obtient 44,05%, se plaçant ainsi en tête et donc favori pour le second tour, devant le candidat de la Concertacion avec 29,06% des voix.

Marco Enriquez-Ominami a donc raté son pari de passer devant Eduardo Frei et d’être le candidat de second tour contre Pinera. Dans la foulée des résultats, il a déclaré que le projet de Piñera “est un recul” et celui de Frei “n’est pas une avancée” donnant ainsi l’impression de renvoyer dos à dos le candidat issu des rangs de la dictature et celui du centre gauche. Son conseiller économique ainsi que d’autres membres de son équipe de campagne ont pourtant dans les jours suivants l’élection, appeler à voter pour le candidat de droite.

Du côté de Arrate, un accord a été passé avec la Concertacion sur 12 points dont la nécessité d’une nouvelle constitution, la non privatisation de Codelco, une amélioration de l’enseignement public et du système de santé, la fin de la privatisation de l’eau etc. En conséquence, Jorge Arrate appelle à soutenir Frei pour le second tour.

Au Chili, l’inscription sur les listes n’est pas obligatoire, ce qui fait que beaucoup de jeunes ne sont pas inscrits ainsi que de nombreux réfugiés qui sont rentrés. Par ailleurs, les chiliens de l’étranger n’ont pas le droit de voter. Par contre une fois inscrit, le vote est obligatoire. Le deuxième tour dépendra donc du nombre d’électeurs de Enriquez-Ominami qui voteront blanc ou nul. Si ce nombre est élevé Sébastian Pinera peut gagner l’élection et être ainsi le premier président de droite depuis Pinochet. Or si le sénat reste à gauche de justesse, la chambre des députés n’a pas de majorité claire et penche plutôt à droite avec la UDI comme premier parti avec 40 députés sur 120. Un président de droite peut donc avoir comme conséquence de faire basculer la chambre des députés à droite et qui plus est une droite ultra réactionnaire. Dans ces conditions refuser d’appeler à voter pour le candidat de la Concertacion, même avec ses insuffisances indéniables, revient à favoriser l’élection d’un président se réclamant ouvertement de l’héritage de Pinochet !

Mais plus rien ne sera comme avant, car le faible résultat de Eduardo Frei, candidat officiel de la Concertacion, marque l’épuisement de cette alliance et les scores de Marco Enriquez-Ominami et de Jorge Arrate, l’aspiration d’une fraction significative du peuple chilien de voir apparaître de nouvelles forces politiques en rupture avec les politiques menées depuis 20 ans. Il serait préférable que ce nécessaire renouveau n’ait pas à affronter un gouvernement à la Berlusconi. Le second tour a lieu le 17 janvier : d’ici là je serai particulièrement angoissée car je pense à toutes celles et ceux qui ont lutté contre la dictature et pour qui voir élire un président se réclamant de Pinochet est particulièrement insupportable.

Avant de reprendre l’avion, je suis intervenue (en espagnol) dans un débat organisé par le Monde Diplomatique sur le réchauffement climatique et les enjeux de Copenhague. La discussion, devant plus d’une centaine de personnes, a été très intéressant et montré que la problématique était bien planétaire.


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