Redécoupage ou tripatouillage électoral ? L’avenir de la première circonscription en jeu

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Le nombre de députés pour toute la France, 577, a été inscrit dans la Constitution à l’occasion de la dernière modification de cet été. Il a aussi été créé des députés représentant les Français de l’étranger. Or, le découpage des circonscriptions actuelles correspond au recensement de 1982 et la population a augmenté depuis et se répartit différemment sur le sol national. En conséquence, le Conseil constitutionnel exige le redécoupage des circonscriptions législatives afin de mieux respecter l’égalité des citoyens devant le suffrage universel.

Paris compte actuellement 21 circonscriptions et devra en perdre trois. Le redécoupage est donc particulièrement sensible. Or ces derniers temps, la presse répète constamment que les circonscriptions de l’ouest et du centre sont les plus petites. Le gouvernement prépare ainsi la disparition de la 1ère circonscription. Pourtant elle comporte 101 438 habitants dont 63 045 sont inscrits sur les listes électorales. C’est la 11ème circonscription par la taille.

On ne peut donc que s’étonner de sa disparition visiblement souhaitée par l’UMP, et on aurait pu penser que la suppression de circonscriptions aurait concerné les plus petites. Mais voilà parmi ces 10 petites, 6 ont un député UMP. : Martine Aurillac dans la 3ème (75 131 hab) ; Jean Tiberi dans la 2ème (85 601 hab), Pierre Lellouche dans la 4ème circonscription (95 086 hab), Françoise de Panafieu dans la 16ème circonscription (95 181 hab) et les deux circonscripions du 16ème arrondissement qui ont 78 490 habitants et 83 227. Toutes ces circonscriptions sont contiguës et elles le sont aussi avec la 17ème d’Annick Lepetit et la 18ème de Christophe Caresche qui ont aussi moins d’habitants que la 1ère. Le redécoupage pourrait donc englober l’ensemble de ces circonscriptions qui concerne des arrondissements déjà découpés. Mais non, le gouvernement semble faire le choix de faire éclater la 1ère circonscription qui a pourtant une unité au point que même les RG fonctionnent sur la base de ce regroupement !
__Article 25 de la Constitution et élection des députés__

__Exception d’irrecevabilité – Martine Billard__

2e séance du mercredi 20 novembre 2008 – Extrait du compte-rendu officiel :

__M. le président.__ J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement sur le projet de loi relatif à la commission prévue à l’article 25 de la Constitution et à l’élection des députés.

La parole est à Mme Martine Billard.

__Mme Martine Billard.__ Monsieur le président, monsieur le ministre, l’Assemblée est appelée à se prononcer sur des projets qui mettent en application les changements constitutionnels adoptés le 23 juillet dernier.

L’objectif principal de cette révision constitutionnelle était, pour le Président de la République, de marquer de manière symbolique son pouvoir devant le Parlement. Nous avons désormais tous compris que non seulement le Président préside mais qu’il gouverne, et que s’il pouvait se passer du concours de notre Assemblée au bénéfice de ses conseillers, il le ferait bien volontiers.

Pourtant, cette réforme aurait pu donner lieu à un véritable débat, et être élaborée conjointement par la majorité et par l’opposition, pour démocratiser nos institutions et valoriser vraiment les pouvoirs du Parlement.

Las, vous n’avez tenu compte d’aucune proposition de l’opposition, notamment sur la reconnaissance du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales.

__M. Alain Gest.__ Cela faisait longtemps !

__Mme Martine Billard.__ Cela aurait permis de traiter de la même façon tous les résidents étrangers. En effet, depuis l’adoption du traité de Maastricht il existe une profonde injustice : les citoyens communautaires ont le droit de vote, les autres ne l’ont à aucun niveau alors que certains vivent dans notre pays depuis des décennies, ont fondé une famille, participé à la vie démocratique, ont fait de la France leur patrie.

Vous avez dit non à toute réforme des modes de scrutin, qu’il s’agisse de l’élection des sénateurs ou de l’introduction de la proportionnelle dans le système majoritaire pour que notre assemblée soit enfin le reflet de la diversité politique et sociale de notre pays. Des membres éminents de la majorité se sont félicités de la victoire de Barack Obama dans un pays qui a si longtemps pratiqué la ségrégation, et où la couleur de peau reste une question politique de premier plan. Mais que font-ils pour que nos assemblées reflètent mieux la diversité de notre pays ? Le scrutin proportionnel est celui qui permet la représentation des forces politiques nouvelles et minoritaires, qui rend possible l’application de la parité entre femmes et hommes, non dans les candidatures mais dans les résultats, et qui aurait permis la prise en compte de la diversité. Vous avez même expliqué, pour refuser l’élection à la proportionnelle des députés des Français de l’étranger, qu’il était impossible de recourir à deux modes de scrutin différents pour une même élection. C’était faire preuve d’une mauvaise foi caractérisée : n’est-ce pas le cas pour l’élection des sénateurs ?

Le redécoupage des circonscriptions législatives – certes nécessaire, et même obligatoire – illustre parfaitement à la fois la méthode gouvernementale, et le caractère très intéressé des changements constitutionnels opérés par la majorité et tous ceux qui lui ont prêté main forte en échange de promesses qui n’engagent que ceux qui y prêtent foi.

L’un des deux projets met en place la commission indépendante prévue par le nouvel article 25 de la Constitution. Il précise les modalités de désignation de ses membres et l’incompatibilité de cette fonction avec un mandat parlementaire.

Il est souhaitable – mais doit-on avoir de vaines illusions ? – que ce travail, nécessaire en raison des changements démographiques et des grands déséquilibres entre les circonscriptions, soit mené dans la transparence et dans le respect de la démocratie. On ne peut procéder à un découpage électoral dans le seul intérêt d’un camp, avec l’objectif d’éliminer, aux prochaines élections, opposants et forces politiques nouvelles peu représentées du fait du système majoritaire.

On peut pourtant légitimement s’inquiéter à ce propos, d’autant que, jusqu’à il y a quelques jours, la même personne menait la réflexion sur la carte électorale et son découpage pour le Gouvernement et au sein du parti majoritaire.

__M. Alain Marleix__, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Ce n’est plus le cas.

__Mme Martine Billard.__ Depuis quelques jours, je l’ai dit.

Vous demandez aujourd’hui au Parlement de cautionner un redécoupage de la carte électorale qui combine la suppression d’un certain nombre de circonscriptions et de petits toilettages politiciens. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il y a eu des fuites dans la presse. Vous protestez, mais on a du mal à vous croire.

On aurait pu attendre, en période de crise grave du système financier, une autre réponse, que la tentative de réduire l’espace de l’opposition. Mais rien ne nous étonne de la part d’un pouvoir qui n’a d’autre horizon que sa propre survie politique.

__M. Alain Gest.__ Vous êtes sûre de parler du bon parti ? (Sourires.)

__Mme Martine Billard.__ Si vous voulez dire que la gauche, en ce moment, vous donne un coup de main, je joue mon joker !

D’abord, nous nous inquiétons de vous entendre annoncer que le projet de loi retient certains des critères qui ont présidé au découpage des circonscriptions opéré en 1986, critères auxquels le Conseil constitutionnel avait donné son aval dans sa décision précitée du 2 juillet 1986 : comme la continuité du territoire, le respect des limites des cantons, et sauf exception, des écarts de population limités à 20 %. En effet, la loi de 1986 avait accentué et non réduit les inégalités de la représentation.

Cette fois, le découpage électoral s’appuie sur la révision constitutionnelle de juillet dernier. Dans le flou constitutionnel où nous sommes – ni vrai régime présidentiel avec séparation stricte des pouvoirs, ni vrai régime parlementaire – nous étions en droit d’attendre un peu plus d’équité.

Sur le principe, nous ne pourrions que nous féliciter de l’actualisation d’une carte vieille de plus de vingt ans. Le précédent redécoupage a été réalisé sur la base du recensement de 1982. La France comptait alors 55 millions d’habitants ; elle en compte 62 millions aujourd’hui.

Les inégalités entre les circonscriptions ont pris un tour scandaleux qui remet en cause le principe d’égalité du suffrage inscrit à l’article 3 de notre Constitution. Ainsi, un électeur de la deuxième circonscription de Lozère, qui compte 27 563 inscrits pour 34 374 habitants, pèse quatre fois plus que celui qui habite la deuxième circonscription du Val-d’Oise où il y a 114 930 inscrits pour 188 200 habitants. Au prorata des Français représentés, le député de Lozère est même huit fois plus influent que celui du Val-d’Oise !

Le Conseil constitutionnel a demandé à plusieurs reprises au gouvernement de remédier à ces inégalités creusées par les mouvements démographiques et amplifiées en 1987 par le redécoupage dirigé par le ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua. Monsieur le ministre ayant servi en son temps auprès de M. Pasqua,…

__M. Alain Marleix__, secrétaire d’État. J’en suis fier.

__Mme Martine Billard__ …ce redécoupage s’inscrit dans ce qu’on appelle « le changement dans la continuité ! » On peut donc nourrir de sérieuses craintes sur la neutralité de celui qui va tenir les ciseaux pour redécouper les circonscriptions.

Nous ne sommes pas davantage rassurés par la mise en place d’une commission de contrôle comportant trois hauts magistrats et trois personnalités qualifiées nommées par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, qui appartiennent tous à la majorité. Le projet précise même que la personne nommée par le Président de la République présidera cette commission. Où est la neutralité politique, lorsque de telles désignations sont faites par des personnes qui sont toutes du même camp, celui qui tient entre ses mains toutes les institutions de l’État ?

Quant aux trois hauts magistrats, s’il est logique que l’un d’eux soit un membre du Conseil d’Etat, se justifie-t-il de désigner pour procéder au redécoupage électoral un membre de la Cour des comptes et un membre de la Cour de cassation ? Madame la ministre de l’Intérieur n’avait-elle pas évoqué précédemment un choix plus varié de professionnels compétents ? Il aurait plutôt fallu recourir à des experts, tels que des démographes, des géographes ou des politologues. Bien d’autres pays nous donnent l’exemple de pratiques beaucoup plus démocratiques et plus transparentes quant au processus de réexamen régulier du découpage des circonscriptions. On est en droit de s’inquiéter de l’indépendance de cette commission, étant donné sa composition, qui justifie l’exception d’irrecevabilité que je défends aujourd’hui.

En ce qui concerne le découpage électoral, bien qu’il soit prévu que « les membres de la commission s’abstiennent de révéler le contenu des débats, votes et documents de travail internes », il semble que certaines décisions soient déjà acquises. En fonction de l’évolution démographique, Paris pourrait perdre deux, voire trois, de ses 21 circonscriptions, le Nord trois, le Pas-de-Calais et la Seine-Maritime deux, la Marne et la Somme une. Les départements gagnants sont ceux du sud – Hérault, Haute-Garonne, Gironde, Gard, Vaucluse, Var – mais aussi les deux Savoie, l’Isère, l’Ain, la Seine-et-Marne, le Val-d’Oise.

Le nombre des députés restant fixé à 577 en vertu du nouvel article 24 de la Constitution, il n’y aura plus qu’un député pour 125 000 habitants, contre un pour 108 000 actuellement.

La révision constitutionnelle du 23 juillet dernier portait aussi sur l’élection de députés par les Français de l’étranger. Le Gouvernement se sert de cette innovation pour mieux faire accepter le charcutage auquel il se livre au profit de la majorité : délibérément il échange douze sièges de députés élus à l’étranger contre douze sièges de députés de gauche élus en France. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

__ M. Bruno Le Roux.__ Tout à fait.

__Mme Martine Billard__. Plutôt que de créer des sièges supplémentaires, vous avez décidé de supprimer des circonscriptions, urbaines pour la plupart. De plus, vous avez refusé de faire élire ces nouveaux députés à la proportionnelle, ce qui aurait permis d’éviter les bizarreries dans leur représentativité – et je passe sur les grandes difficultés que rencontrent nos concitoyens établis hors de France pour voter.

Les occasions manquées lors de la révision constitutionnelle ont été nombreuses. Votre méthode, qui vise à renforcer encore les pouvoirs au Président de la République, est choquante. La double casquette de monsieur le secrétaire d’Etat fait aussi problème, et les marchandages observés lors du Congrès de juillet dernier, sur le maintien de telle ou telle circonscription en échange d’un vote favorable, étaient proprement scandaleux.

Il semble que, déjà, un certain nombre de décisions aient été prises. Je prends l’exemple de Paris. Sur les 21 circonscriptions actuelles, deux, si ce n’est trois, devraient disparaître. Sur les dix plus petites de ces 21 circonscriptions six ont un député de droite depuis toujours. Comme par hasard, selon la presse mais aussi selon les propos tenus par des représentants de l’UMP sur le terrain, on essaierait, lors du redécoupage, d’épargner le plus possible ces six circonscriptions de droite, pourtant les moins peuplées : comme c’est bizarre, étant donné que la réforme est justement censée accroître le nombre d’habitants que représentera, en moyenne, chaque député !

Compte tenu de la composition de la commission dite indépendante, qui ne garantit pas le pluralisme, et du manque de moyens attribués à cette instance, nous ne pouvons que nous méfier du contenu de l’ordonnance que le Gouvernement nous demande de l’habiliter à prendre.

Le Gouvernement a déjà fixé les limites de l’exercice : il est prévu de maintenir un minimum de deux députés par département – ce qui n’est pas une obligation constitutionnelle – ainsi que des tranches de 125 000 habitants, plutôt qu’une clé de répartition à la proportionnelle. Pourtant, la règle des deux circonscriptions avait une raison historique – ne pas faire ombrage au préfet, seul représentant de l’État dans le département – qui n’a plus lieu d’être depuis la décentralisation. Viendra-t-on nous parler de la nécessité de pouvoir se rendre au chef-lieu du département en moins d’une journée de cheval, alors que nous sommes passés au chevaux-moteurs ?

__M. Christian Ménard.__ Ce n’est pas très écologique !

__Mme Martine Billard__. Par ailleurs, il semble que la prochaine réforme des collectivités territoriales pourrait supprimer le département, ou encore modifier le mode de scrutin pour les élections régionales. Nous discutons donc du redécoupage des circonscriptions sans rien savoir ni de la future articulation entre les départements et la région ni de l’évolution des modes de scrutin. Cette opacité fait problème.

Pour la région, un scrutin du type de celui en vigueur à Paris, Marseille et Lyon a été évoqué, ainsi que le principe « un territoire, un homme ». Il serait préférable, soit dit au passage, de dire « un homme ou une femme », mais il est vrai que le scrutin uninominal envisagé est particulièrement défavorable aux femmes, comme l’illustrent les résultats des élections cantonales.

Si l’on ne remet en cause ni le cadre départemental pour le découpage des circonscriptions, ni le scrutin majoritaire, nous obtiendrons une carte électorale remaniée, certes, mais qui ne mettra pas fin à l’inégalité de nos concitoyens devant le suffrage. Or cette situation est contraire à l’article 3 de notre Constitution et à l’objectif affiché de ce redécoupage électoral dont nous discutons ce soir.

Pour conclure, mes chers collègues – et vous constatez que puisque certains députés de la majorité ont protesté contre le nombre de motions de procédure, mon intervention a été brève…

__M. Alain Gest.__ Et je vous en remercie, madame Billard !

__Mme Martine Billard__. Parce que l’égalité de nos concitoyens devant le suffrage universel ne sera pas garantie par les ordonnances que prendra le Gouvernement, je vous demande de voter l’exception d’irrecevabilité présentée au nom des députés du Groupe de la Gauche démocrate et républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.


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