Nous avons donc voté hier soir en première lecture, à l’unanimité, la proposition de loi « Prévention et répression des violences faites aux femmes ». Cette unanimité s’explique par les avancées que contient ce texte et par son mode d’élaboration. Il reste cependant des manques. Et surtout, sa concrétisation dépendra des moyens qui seront alloués.
Voici mon intervention en séance (au début du débat). L’explication de vote suivra.
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__M. le président.__ La parole est à Mme Martine Billard.
__Mme Martine Billard.__ Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous réjouir de voir ce texte arriver en séance après le chemin parcouru au sein de la mission d’évaluation puis de la commission spéciale.
Le bilan annuel des violences faites aux femmes reste inquiétant et terrifiant. Faut-il rappeler que plus d’un million de femmes sont victimes chaque année de violences physiques ou sexuelles, dont plus de la moitié ont lieu au sein de leur foyer ? À Paris, 60 % des appels nocturnes à Police-Secours concernent des violences conjugales. On estime que 48 000 femmes sont victimes de viol chaque année en France. Or seulement 8 % d’entre elles portent plainte. Chaque année – on l’a rappelé –, des femmes meurent sous les coups de leurs conjoints : 156 en 2008, 159 en 2009 et déjà au moins vingt pour les six premières semaines de 2010 ; sans compter celles qui, victimes de harcèlement moral, se retrouvent totalement déstructurées psychologiquement et en viennent parfois au suicide.
Ces violences ne sont pas tolérables. Les lois existantes avaient montré leurs limites ; il était temps de les améliorer. Afin d’en finir avec les demi-mesures, le Collectif national pour les droits des femmes avait proposé une loi-cadre qui, sans oublier l’aspect répressif, mettait très fortement l’accent sur le développement de la prévention et de la formation. Comme il a été rappelé, une proposition de loi reprenant ces dispositions a été déposée par le groupe GDR.
Je tiens à saluer le Collectif national des droits des femmes qui, par son combat acharné, et grâce à la pétition nationale qui a recueilli 16 000 signatures, a donné un signal fort. Celui-ci a été reçu par notre assemblée et par son président, qui a mis en place la mission d’évaluation. Sans cette mobilisation du Collectif et de notre assemblée, nous ne serions pas saisis aujourd’hui de cette proposition de loi. La mission, présidée par notre collègue Danielle Bousquet, et dont le rapporteur était Guy Geoffroy, a accompli – tout le monde le dit, sur tous les bancs, ce qui n’est pas si fréquent – un travail remarquable ; le texte qui nous est proposé est un texte de progrès.
Il crée l’ordonnance de protection permettant de protéger la femme victime de violences commises par son conjoint, partenaire de PACS, concubin ou « ex », même sans dépôt de plainte. Effectivement, de nombreuses femmes n’osent pas porter plainte, par peur ou par difficulté – il faut le reconnaître – à rompre le lien avec celui qui a été l’être aimé. L’ordonnance permettra donc d’organiser cette protection, ainsi que celle des enfants, s’il y en a, sous toutes les formes nécessaires.
L’introduction de la notion de violence psychologique, qui a fait débat, est aussi fondamentale, parce que ce type de violence est tout aussi destructeur et peut donc mener au suicide.
La médiation pénale ne peut être appliquée sans l’accord de la victime, mais, compte tenu de la fragilité des femmes dans de telles circonstances, nous aurions préféré que cette possibilité soit totalement écartée. C’est un point qui a fait débat au sein de la mission.
Je salue, par ailleurs, l’avancée consistant à ce que l’on puisse retirer dorénavant l’autorité parentale en cas de crime, ce qui a aussi fait débat ; ce n’était pas gagné d’avance.
Cette proposition répond également à la nécessité d’une coordination – vous l’avez dit, madame la garde des sceaux – entre la justice civile et la justice pénale. C’est un des manques actuels de notre droit, qui suscite d’ailleurs une grande incompréhension chez les victimes.
Plusieurs des mesures de protection concernent les femmes étrangères sans papiers. Victimes de violences, elles se trouvent dans des situations souvent dramatiques, coincées entre un conjoint violent et le risque de reconduite à la frontière, y compris sans leurs enfants. Aujourd’hui, ces femmes peuvent être expulsées ; nous l’avons vu récemment. À quelques jours du vote de cette proposition de loi, cela paraît d’ailleurs incompréhensible !
Des progrès importants sont obtenus aussi en ce qui concerne la question fondamentale du logement. Mais toutes ces avancées n’auront de sens que si les moyens sont à la hauteur – d’autres collègues l’ont dit avant moi –, et j’avoue que j’étais un peu inquiète ce matin en lisant l’interview accordée par Mme la secrétaire d’État à un quotidien du matin. Heureusement, Mme la garde des sceaux nous a rassurés sur au moins deux des trois articles qui avaient été déclarés irrecevables au nom de l’article 40 de la Constitution.
Le premier concerne la formation des intervenants auprès des femmes victimes de violence ; le deuxième, l’extension de l’aide juridictionnelle aux femmes étrangères sans papiers, puisque, justement, elles sont en situation de grande fragilité et, sans cette possibilité, elles ne pourraient pas faire valoir leurs droits devant la justice.
En revanche, madame la garde des sceaux, je dois dire ma déception et, je crois, celle de tous nos collègues, devant votre décision de ne pas reprendre la proposition de la mission, puis de la commission spéciale, de créer un observatoire national spécifique.
L’Europe mettra en œuvre cette proposition, certains départements ont déjà agi ; nous avons, je crois, besoin d’un tel observatoire au niveau national. On ne peut pas compter sur l’Observatoire de la délinquance pour remplir toutes les missions qui seraient celles d’un observatoire dédié aux seules violences faites aux femmes. S’il n’est pas trop tard, j’aimerais donc insister à nouveau, moi aussi, au nom du groupe GDR, sur cette demande.
Au-delà des avancées de ce texte, tout dépendra des moyens. J’en appelle pour cela au Gouvernement. Nous avons la satisfaction de voir aboutir deux années de travail commun ; ce texte va vraiment améliorer notre droit – même s’il est possible que, dans les mois ou les années suivantes, d’autres améliorations apparaissent nécessaires. Mais nous espérons, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, que des moyens seront alloués pour que ce texte ne reste pas lettre morte mais s’applique réellement, et réponde aux problèmes vécus par les femmes victimes de violences. ( »Applaudissements sur tous les bancs. »)