A chaque fois le même discours réapparaît : ils n’oseront pas.
Pourtant l’histoire nous apprend que des chefs d’état accusés de folie ont osé mettre en pratique ce qu’ils avaient annoncé. Sans remonter à Hitler, on peut se souvenir de Rodrigo Duterte aux Philippines, Nayib Bukele au Salvador, Jair Bolsonaro au Brésil et depuis un peu plus de 2 ans maintenant Javier Milei en Argentine.
La bourgeoisie a toujours cherché à maximiser ses profits et pour cela à contenir les revendications des travailleuses et travailleurs.
En France au 20ème siècle, le règne des 200 familles, comme les plus riches d’entre elles avaient été surnommées, s’est heurté à un puissant mouvement ouvrier organisé qui l’a empêché d’assouvir tous ses désirs notamment grâce aux grandes grèves de 1936.
L’existence d’une résistance populaire pluraliste concrétisée dans le programme du CNR, a permis de grandes avancées sociales à la Libération alors qu’une grande partie du patronat français avait collaboré avec le nazisme. L’horreur de la Shoah et le rejet du nazisme se sont pendant longtemps traduit dans l’expression Plus jamais ça.
Mais après guerre l’Europe de l’Ouest a aussi connu des dictatures et jusqu’en dans les années 70 : Espagne, Portugal, Grèce qui ont fini par être renversées par des mobilisations populaires.
En Amérique Latine il ne faut pas oublier que de nombreux coups d’états ont été fomentés avec l’aide de la CIA dès que les intérêts économiques américains étaient quelque peu mis en cause.
Puis les années 70 ont vu apparaître des dictatures militaires dans le cône sud avec le soutien des Etats-Unis au nom de la lutte contre le communisme. La bourgeoisie de ces pays prenait peur devant l’espoir d’émancipation soulevé sur tout le continent par la révolution cubaine.
Dans ce contexte, la dictature chilienne a une spécificité supplémentaire. Augusto Pinochet fait appel aux Chicago Boys de Milton Friedman pour imposer un nouveau modèle économique basé sur la réduction massive du budget de l’état et la privatisation de tout le secteur public. Mais il se garde bien de toucher aux intérêts de l’armée. Ainsi le système publique de retraite est démantelé au profit de fonds de pension sauf pour l’armée. Les mines de cuivre, qui avaient été nationalisées par Salvador Allende restent publiques, mais 10% de leurs bénéfices vont à l’armée jusqu’en 2009. Toutes les autres mines de cuivre exploitées depuis la dictature le sont par par des entreprises privées.
Le Chili de Pinochet est un exemple parfait de la collusion de l’oligarchie avec une dictature.
Les peuples ont fini par se libérer de ces dictatures en Amérique Latine et comme en Europe après la seconde guerre mondiale ont scandé Nunca mas.
Hélas, la démocratie n’est jamais garantie. Le Brésil a vu le retour des partisans de la dictature avec Bolsonaro comme l’Argentine avec Milei. A chaque fois on nous a redit ils sont fous, notamment Milei avec sa tronçonneuse, ce n’est que de la communication, ils n’oseront pas. Mais ils ont osé, au Brésil en allant jusqu’à des projets d’assassinat de Lula et en Argentine en licenciant massivement les fonctionnaires, en supprimant le budget des quelques universités publiques qui existaient encore et en fermant les lieux de mémoire chargés de maintenir le souvenir des crimes de la dictature militaire. Au forum de Davos le 23 janvier Milei a annoncé qu’il allait en finir entre autres avec la parité au niveau électoral et la notion de féminicide dans le code pénal. Pour son ministre de la justice : »aucune vie ne vaut plus qu’une autre, le féminisme est une distorsion du concept d’égalité qui cherche uniquement à obtenir des privilèges en dressant une moitié de la population contre l’autre. »
Trump vient d’arriver au pouvoir aux Etats-Unis. Il avait annoncé ses intentions. Et il les met en pratique sans attendre. Il ose. Rien ne l’arrête. Il revendique le Groenland et menace ses voisins Canada et Panama. Ce dernier a déjà été envahi par les Etats-Unis du 20 décembre 1989 au 31 janvier 1990, sous l’administration de Bush. Depuis ce pays n’a plus d’armée.
Son bras droit Elon Musk met en place une coordination entre les extrêmes droites à l’échelle mondiale et n’hésite pas à pratiquer l’ingérence totale dans les affaires intérieures des pays comme le soutien officiel à l’AFD, l’extrême droite allemande. Il a même participé à un de leur meeting par vidéo en tenant des propos plus qu’ambiguës « L’accent est trop mis sur la culpabilité du passé, et nous devons aller au-delà de cela. » Si on y ajoute le salut clairement nazi effectué le jour de la prise de fonction de Trump, tout cela montre clairement de quel côté penche Musk n’en déplaise à tous ceux qui cherchent des explications vaseuses.
Or en France de plus en plus de dirigeants de droite regardent amoureusement ce que font Musk et Milei. Ainsi Valérie Pécresse en imite le vocabulaire avec son comité de la hache « Le temps est venu pour un comité de la hache qui taille dans les dépenses inutiles. » Christelle Morançais la présidente des Pays de la Loire et Laurent Wauquiez en Auvergne Rhônes-Alpes suppriment massivement les subventions aux associations du champ de la culture et de l’écologie. L’accès à l’IVG devienne un parcours du combattant. Les subventions au Planning Familial sont réduites voire supprimées.
Car la conséquence de l’arrivée de Milei, Trump et autres au pouvoir, c’est de donner l’exemple et de montrer qu’aujourd’hui, en l’absence de mobilisations populaires puissantes, c’est le moment à saisir pour appliquer enfin ce programme rêvé de l’oligarchie qui est de tout privatiser, de supprimer le maximum de dépenses sociales et d’arrêter de faire semblant de s’inquiéter pour l‘environnement.
La droite et les macronistes viennent de le démontrer au Sénat en réduisant le budget de l’écologie de plus d’un milliard d’euros, en supprimant l’Agence pour le bio avec les encouragements de la ministre de l’agriculture, en encourageant de fait les menaces de la Coordination Rurale et de la FNSEA contre l’Office français de la biodiversité.
Pendant des décennies les luttes ouvrières ont permis des conquêtes sociales pour l’ensemble des salarié.es. Mais la deuxième loi Aubry avec l’introduction du salaire au forfait a marqué le début de régressions qui n’ont hélas cessé depuis. Certes en 1995 la grève a empêché l’extension aux fonctionnaires des 40 ans de cotisation pour la retraite, mais ce ne fut que partie remise. En 2002 la mobilisation de la jeunesse a obligé le gouvernement de l’époque de reculer sur le CPE qui revenait à instaurer un SMIC jeunes. On oublie trop souvent qu’avant la création du SMIC il y avait un SMIG jeune et des SMIG différents selon les régions, revendications que le patronat remet régulièrement sur la table.
En 2008 Sarkozy, président de la République, osait dire : « Désormais quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit« . Cette vantardise, bien dans le style du personnage, se traduisait hélas en 2010 par son refus de céder aux manifestations massives contre la réforme des retraites prévoyant de repousser le départ en retraite à 62 ans. Ceci a marqué un véritable tournant. Depuis aucune mobilisation contre une réforme gouvernementale n’a gagné.
Le quinquennat de François Hollande s’est terminé dans la déconfiture totale au point que pour la première fois un président sortant ne pouvait pas se représenter. Le PS s’écroulait aux législatives de juin 2017. EELV disparaissait de l’Assemblée Nationale alors que la France Insoumise, nouvellement créée y envoyait 17 député.e.s. La FI est encore accusée de sectarisme pour avoir refusé toute alliance avec le PS et EELV liés par un accord. Il s’agissait tout simplement d’une juste compréhension du moment marqué par le rejet de la politique menée pendant cinq ans.
Aujourd’hui, malgré la NUPES puis le NFP la gauche pâtit encore du discrédit issu de ces 5 ans de gouvernement Hollande au point de d’atteindre au maximum un tiers des voix dans les premiers tours des élections.
Parallèlement les syndicats n’arrivent pas à mobiliser contre les politiques antisociales menées par Macron depuis 2017.
Le patronat français se sentait déjà sûr de lui. Avec Milei et Trump, plus rien de les arrête et Macron, leur fondé de pouvoir a encore moins l’intention de remettre en cause ses politiques en faveur des plus riches.
C’est le moment que choisit l’aile droite du PS emmenée par « Hollande le retour » pour détruire ce qu’il a été si difficile de reconstruire depuis 2012. Ne pas comprendre qu’il n’y a rien à attendre de quelque premier ministre que ce soit de ce si mal nommé bloc central est soit naïf soit faire preuve d’un aveuglement coupable.
Aujourd’hui il est impossible de réfléchir le moment politique indépendamment de la situation globale. Et rien ne sert de se voiler la face, la situation n’est pas bonne. Le rapport de force est clairement du côté de l’oligarchie. En Europe, Orban le président hongrois est un grand admirateur de Trump et un adversaire de l’écologie tout comme Meloni en Italie. En Allemagne le président du FDP et ex-ministre des finances du gouvernement de Olaf Scholz explique tranquillement « il faut que l’Allemagne ose plus de Musk et de Milei ».
Dans ce genre de contexte, marqué par la montée de l’extrême droite dans de très nombreux pays, la démultiplication de la répression aidée par des moyens technologiques sans cesse plus performants, il faut serrer les rangs, il faut se donner les moyens politiques de résister. Négocier avec Bayrou, jouer à la gauche responsable aura surtout comme résultat de dégouter un peu plus toutes celles et ceux qui sont les victimes du système actuel et faire apparaître le RN comme le seul opposant. Dans les années 30 le fascisme est arrivé au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe mais a échoué en France face à la mobilisation populaire. Aujourd’hui l’enjeu est similaire. Le Nouveau Front Populaire doit rester sur une ligne de résistance faute de quoi la déferlante fasciste se verra offrir un boulevard.