France : Tentation fasciste ?

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par Hélène Adam et Martine Billard

Il est courant aujourd’hui de parler de risque fasciste en France en évoquant la possibilité de la victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle. Pourtant utiliser les bons concepts et donc les bonnes dénomination est fondamental en politique pour pouvoir adopter la réponse adéquate.

Quelques rappels historiques sur le fascisme

Historiquement le fascisme apparaît avec Benito Mussolini en Italie. Il est caractérisé par le rejet de l’égalité au nom de la hiérarchie naturelle entre les sexes (les femmes sont renvoyées à la maison et on exige d’elles un grand nombre d’enfants) et de la hiérarchie entre les races. Cela va de pair avec le refus de la démocratie.

En Italie, le fascisme est une réponse à la crise économique de 1919 à 1921, à la montée du Parti Communiste qui remporte 15 sièges de députés aux élections de 1921 et à l‘incapacité de la bourgeoisie de faire front à la révolte populaire pour une vie meilleure.

En Espagne, la chute de la monarchie en 1931 puis la victoire du Front Populaire en 1936 provoquent le coup d’état du général Franco qui s’appuie sur le mouvement fasciste de la Phalange.

En Allemagne, la montée puis la victoire du nazisme s’explique d’une part par les conséquences de la crise économique de 1929 mais aussi par l’humiliation subie avec la signature du Traité de Versailles. La tentative de révolution spartakiste menée par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht en 1919 dans la foulée de la révolution soviétique a aussi semé la peur au sein de la bourgeoisie au point que les grands patrons de l’industrie et de la banque ont adressé une lettre en 1932 au président Hindenburg l’appelant à nommer Hitler chancelier. Le KPD était en effet passé de 124 000 adhérents en 1928 à 206 000 en 1931 et de 4,6 millions de voix aux élection de 1928 à 5,9 millions en novembre 1932. Mais lors du sixième congrès de l’Internationale communiste en septembre 1928 Staline donne la priorité à la lutte contre la social-démocratie. Ayant subi une répression sanglante en 1919 sous un gouvernement SPD avec notamment l’assassinat de Luxembourg et Liebknecht, le KPD va adopter cette ligne : en novembre 1931, on lit dans la Rote Fahne, l’organe communiste : « le fascisme de Brüning n’est pas meilleur que celui de Hitler… C’est contre la social-démocratie que nous menons le combat principal ».

A chaque fois la prise de pouvoir implique la dissolution du parlement, l’interdiction des partis et syndicats hors ceux liés au mouvement fasciste, l’embrigadement poussé de la jeunesse et sa dévotion au chef (Chemises noires en Italie, Jeunesse Hitlérienne en Allemagne), l’existence de milices armées qui font la loi dans la rue comme les SA, l’emprisonnement des militants syndicaux et politiques ainsi que tout opposant et même leur assassinat. Le fascisme est pour l’intervention de l’État dans l’économie dans sa volonté de contrôle de la société.

Dans ces trois pays, c’est la peur du communisme qui explique le ralliement de la bourgeoisie au fascisme et son succès à une époque où le mouvement ouvrier est en forte croissance aux lendemains de la victoire spectaculaire de la Révolution Russe. L’antisémitisme a également pignon sur rue et les exactions contre les juifs se multiplient dans toute l’Europe avec une nette accélération dans les années 20 et 30 en Europe centrale (Allemagne, Pologne, Hongrie, Autriche).

Mais nous voyons que chaque cas a des spécificités. Ainsi en Espagne l’omniprésence d’une église catholique ultra réactionnaire en est un des aspects.

En Allemagne le nazisme a été l’auteur d’interdictions professionnelles visant les juifs dans toutes leurs activités et avec des attaques particulières contre leur poids dans l’intelligentsia politique, sociale, culturelle, littéraire souvent d’avant-garde. L’ensemble de ces mesures se répand dans une bonne partie de l’Europe et s’accompagne rapidement de la décision d’élimination physique globale de l’ensemble de la communauté juive au travers de la Shoah. S’il y a dans l’histoire bien d’autres exemples de camps de concentration, les camps d’extermination sont de toute autre nature et représentent une rupture fondamentale dans l’histoire récente. La politique d’extermination organisée de manière « industrielle » en fait sa spécificité par rapport à d’autres génocides. Le nazisme c’est aussi l’eugénisme avec l’obsession de la pureté de la race amenant notamment à l’élimination des handicapés mentaux et des roms.

Il y a eu des mouvements fascistes dans d’autres pays d’Europe à la même époque qui ont souvent pris exemple sur l’Italie : Croix fléchées en Hongrie, Oustachis en Croatie …

En France les mouvements nationalistes fascisants et antisémites ont également pignon sur rue et « l’insurrection » du 6 février 34 s’en prend directement à la représentation parlementaire.

La course aux armements et finalement, le déclenchement de la Guerre par l’Allemagne, est également inscrite dans ce mouvement général de montée des formes les plus réactionnaires et anti-républicaines des formations politiques aspirant puis prenant le pouvoir.

Depuis la démocratie a été abolie dans d’autres pays mais le plus souvent au moyen de coups d’états suivis de dictatures militaires (Grèce, Amérique du sud …) et sans une organisation équivalente de l’État, de haut en bas, que l’on peut qualifier de fasciste.

Que ce soit le nazisme, le fascisme ou les dictatures, tous ces pouvoirs avaient comme premier objectif revendiqué comme tel de s’opposer à la montée du communisme après la victoire de la révolution d’Octobre en Russie dans les années 30, et en Amérique Latine d’empêcher d’autres pays de suivre l’exemple cubain.

La période social-démocrate

Nous avons connu ensuite une période de prospérité économique et de relative puissance de la social-démocratie qui n’avait pas pour objectif de remettre en cause le système mais de mieux répartir les fruits de la croissance. Tant que cette croissance était au rendez-vous cela pouvait se gérer dans le cadre du système au moyen d’alternances politiques. Mais la généralisation de la mondialisation financière, de la marchandisation de tous les secteurs économiques et de la vie et la concurrence effrénée précarisent l’ensemble de la société. Avec le développement des délocalisations, de la sous-traitance, de la précarité il n’y a plus dans les pays occidentaux de grande concentrations ouvrières avec de puissants syndicats.

Le rôle « classique » de la social-démocratie est donc terminé, son accès au pouvoir ne pouvant s’effectuer que dans le cadre d’alliances politiques plutôt au centre.

De façon plus générale, nous ne sommes plus dans une situation internationale où le mouvement ouvrier est à l’offensive et peut apparaître comme un danger pour le pouvoir de la bourgeoisie.

Nouvelle menace : la mise en danger de notre écosystème

Une nouvelle menace est apparue : la catastrophe écologique, qui certes ne frappe pas de la même façon les riches et les pauvres, mais néanmoins n’épargne personne et surtout remet profondément en cause l’avenir de l’humanité dans ce mode de production dominant. Beaucoup de luttes se développent partout sur la planète contre la destruction des milieux vivants, l’appropriation de l’eau par une poignée de profiteurs, la contamination des lieux de vie etc … Autant des luttes ouvrières peuvent être apaisées momentanément par des hausses de salaires ou des améliorations temporaires des conditions de travail que le capitalisme s’empressera de reprendre à la première occasion, autant le refus de l’extraction minière ou de la déforestation n’est pas récupérable. Voilà pourquoi dans tous les pays les pouvoirs politiques se durcissent pour maintenir le système productiviste et les privilèges des riches avec l’utilisation massive de moyens de surveillance et allant comme en France jusqu’à traiter les opposants à ce système d’écoterroristes. L’accusation de faiblesse voire de complaisance avec le terrorisme tout comme l’accusation d’antisémitisme dès qu’on exprime un désaccord avec le gouvernement israélien d’extrême-droite permet de dénigrer les opposants et vise à empêcher tout débat public ainsi que toute remise en cause du discours majoritaire porté par les forces politiques au pouvoir avec l’aide de médias possédés par l’oligarchie. Ceci se vérifie dans de nombreux pays.

Reste à dévier la colère populaire vers d’autres ennemis. La montée de la globalisation, l’angoisse du désastre écologique et la peur des migrations liées au réchauffement climatique permet à la bourgeoisie de surfer sur le repli identitaire et la montée du racisme. Mais l’oligarchie ne peut pas se permettre de nier totalement la réalité du réchauffement climatique car c’est contradictoire avec ses intérêts à moyen terme. Dans ces conditions une alliance avec l’extrême-droite pour casser les résistances écologiques peut être une solution à court terme mais pas forcément à long terme.

L’arrivée de gouvernements autoritaires dans différents pays est d’ailleurs intimement lié à l’ultra libéralisme ce qui les différencient du fascisme des années 30.

Y-a-t-il un risque fasciste en France ?

Macron est-il fasciste ? Dire cela est absurde. Il défend les intérêts des plus riches et pour cela n’hésite pas à utiliser la répression pour casser toute volonté de s’y opposer. Il est fort possible qu’il soit aussi profondément réactionnaire comme ses sorties sur Maurras, Pétain etc le laissent penser. Mais il n’a aucunement l’intention d’organiser un mouvement fasciste en France. Ce n’est, si on peut dire, qu’un pouvoir autoritaire.

Fondamentalement, la forme de démocratie que représente la Cinquième République trouve même une illustration assez adéquate à ses formes spécifiques : présidentialisme contre parlementarisme sont poussés à l’extrême au sens où l’utilisation du 49.3 a battu des records. En même temps, cet « excès » est la réponse du pouvoir à une Assemblée où sa majorité n’est pas assurée en permanence, donc qui reflète paradoxalement les faiblesses actuelles des assises politiques d’un gouvernement dont l’accès au pouvoir est le résultat d’un vote en partie dicté par le rejet de Marine Le Pen.

Indéniablement l’action de groupuscules se réclamant du fascisme voire du nazisme a augmenté ces dernières années. Totalement minoritaires, ils peuvent néanmoins être momentanément très utiles au pouvoir pour semer la peur chez les militants. Lorsqu’ils passent les bornes ils sont dissous avant de se reconstituer sous un autre nom. Cependant on ne peut actuellement parler de bandes armées instrumentalisant les forces de l’ordre étatiques ou parallèles, voire rivales mais revendiquant le pouvoir, telles qu’on pouvait en observer la progression dès 1931 en Allemagne et en Italie.

Il y a cependant un risque tout à fait sérieux d’accession du RN au pouvoir et c’est ce phénomène politique, qui rejoint les tristes événements déjà intervenus en Italie notamment, qu’il faut analyser.

A la présidentielle de 2027 en cas de second tour entre Le Pen et un candidat de gauche, il est fort probable, et les sondages actuels donnent cette tendance, que la droite soutienne Le Pen d’autant plus si le candidat de gauche est soutenu par la FI. Nous avons malheureusement vu aux législatives de 2022 que lors des seconds tours FI-RN la droite et les macronistes n’avaient pas hésité à voter pour le RN.

Les tabous ou réserves « républicaines » ne sont plus de mises et, depuis que la LFI représente une réelle force parlementaire de propositions politiques, ce sont souvent ses positions qui ont été « diabolisées » voire considérées ouvertement comme « hors du champ républicain ». Le barrage républicain ne se fait plus contre le RN mais contre la FI.

Le RN avec Marine Le Pen a clairement pour objectif d’accéder au pouvoir par les élections. Sa meilleure possibilité est de gagner la présidentielle de 2027. D’autant que voter pour le successeur de Macron après 10 ans de pouvoir qui auront casser un peu plus l’état social et appauvrit la population tout en aggravant la répression contre tout opposant apparaît difficile. Même sans majorité au parlement ensuite, Macron a montré comment en poussant au maximum la Constitution de la 5ème République il était possible de gouverner sans majorité. Mais cela ouvrirait-il la porte à un gouvernement fasciste ?

S’il parait exclu que le RN se livre à une interdiction/dissolution des partis politiques (y compris la LFI, son pire ennemi), des syndicats (y compris la Confédération Paysanne), d’associations ayant pignon sur rue comme la LDH, il est fort probable qu’il accentuera les formes d’intimidation, de restrictions des libertés, de suppression des subventions, qui lui permettront d’asseoir son autorité.

Marine Le Pen va-t-elle renvoyer les femmes à la maison ? Ce n’est pas crédible. Elle peut essayer de limiter les droits mais ce n’est pas facile car contrairement à la Pologne et la Hongrie la majorité de la population française est aujourd’hui athée ou non pratiquante donc peu influencée par les doctrines religieuses dominantes et par ailleurs attachée aux droits durement acquis par les femmes dont le droit à disposer de son corps.

Il est donc peu probable que l’arrivée du RN signifie la mise en place d’un pouvoir fasciste. Ce sera un pouvoir réactionnaire, anti écologique, anti immigrés et ultra répressif. C’est déjà beaucoup et cela donne suffisamment de raisons de s’y opposer sans convoquer systématiquement des exemples historiques peu pertinents pour comprendre précisément les spécificités complexes de la situation actuelle. Et les potentielles catastrophes diverses annoncées dans le cadre de la crise climatique pourront, hélas, nous amener à être confrontés à des situations tout aussi dramatiques mais prenant des formes et des chemins différents.

Rester lucides c’est se tourner vers la compréhension des phénomènes futurs en lien avec aujourd’hui. C’est apprendre du passé sans vouloir en plaquer les schémas sur une situation du présent.


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