Faut-il supprimer le juge d’instruction ?

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Le président de la République a annoncé vouloir procéder à cette réforme dans les mois qui viennent. Dans les milieux judiciaires, et notamment du côté des avocats, les positions sont partagées. Ayant du mal à me faire une idée, j’ai essayé ces dernières semaines de comprendre l’enjeu du débat. Pour cela j’ai assisté, le mercredi 8 avril, à une conférence sur le sujet organisée par la section Paris-centre de la LDH avec maître Henri Leclerc et le juge Paul Hubert et j’ai été accueillie au Palais de Justice par deux juges d’instruction qui ont bien voulu m’expliquer en détail leur métier.
”Quelques rappels historiques :”

L’ancêtre du juge d’instruction est le Lieutenant général du Roi qui mène ses enquêtes en secret, seule l’exécution est alors publique. La Révolution supprime cette institution et aligne le système judiciaire français sur le modèle anglo-saxon avec jury populaire et intime conviction faisant office de preuve. Avec la création du Code d’instruction criminelle par Napoléon, le juge d’instruction est rétabli et l’instruction est de nouveau secrète. Le débat pour la suppression du juge d’instruction reprend avec force tout au long du 19e siècle. En 1897, l’instruction devient contradictoire – à charge et à décharge – et le dossier d’instruction est communiqué à l’avocat la veille du jour du procès. Mais l’enquête préliminaire reste menée par la police et la garde à vue reste sans limite et sans cadre légal.

La suppression du juge d’instruction est reposée à la Libération. Finalement, en 1958, la garde à vue est institutionnalisée et encadrée, l’enquête ne dépend plus du procureur de la République mais seulement du juge d’instruction.

Le 15 juin 2000, une nouvelle réforme retire au juge d’instruction le pouvoir de placer en détention avec la création d’un juge des libertés et de la détention. Puis la commission Outreau propose la création de pôles de l’instruction pour remédier à la solitude du juge d’instruction.

”Comment fonctionne la justice française :”

– ++le Parquet et le Siège :++

Il faut différencier ce qu’on appelle le Siège (dont les juges d’instruction, 650 en France actuellement) et le Parquet. Les deux dirigent des enquêtes avec autorité sur la police judiciaire. Mais les juges d’instruction sont totalement indépendants, et cette indépendance est garantie par leur statut et par les règles de procédure (personne ne peut leur adresser d’ordre, ils ne peuvent être dessaisis de leur enquête sauf décision de justice). Un juge qui s’obstine ne risque que des mesures disciplinaires (par le Conseil Supérieur de la Magistrature) s’il est prouvé qu’il a commis des fautes dans la procédure ou un moindre avancement dans sa carrière s’il déplait au pouvoir politique en place. Le juge est donc libre d’ordonner y compris des perquisitions dans les ministères.

Le Parquet lui est hiérarchisé : le substitut dépend du procureur qui dépend du procureur général (au niveau de la cour d’appel) qui dépend du Garde des Sceaux. Le rôle du procureur est de représenter l’intérêt de la société, ce qui se traduit fréquemment par la demande de condamnations. Il reçoit des orientations générales de politique pénale de la part du gouvernement en place (ce qui est normal) mais il peut aussi recevoir des instructions dans des dossiers en cours. Elisabeth Guigou, ministre de la Justice dans le gouvernement Jospin, s’était engagée à ne pas émettre d’instructions individuelles, mais le gouvernement de Sarkozy a pris dès le début le contre-pied et ne se gêne pas pour intervenir de plus en plus dans l’administration de la justice.

– ++Qui décide de l’ouverture d’une enquête ?++

Le juge d’instruction ne peut pas s’auto-saisir. Il est saisi par le procureur dans toutes les affaires criminelles et il peut être saisi dans des affaires délictuelles mais ce n’est pas obligatoire et les dernières lois Perben (2004) ont élargi les possibilités d’enquête préliminaire menées par le Parquet. Ainsi 95% des affaires correctionnelles sont traitées en dehors des juges d’instruction. La personne mise en cause est convoquée en audience correctionnelle par citation directe (enquêtes de flagrant délits ou enquêtes plus longues avec citation directe à une audience correctionnelle).

Si la détention provisoire et les écoutes téléphoniques ne peuvent être prononcées que par un juge d’instruction, les demandes de perquisitions peuvent dorénavant aussi provenir du parquet.

Le parquet juge de l’opportunité des poursuites et donc de l’ouverture ou non d’une information judiciaire. Or si l’affaire reste aux mains du parquet, les avocats et les plaignants ou les mis en cause n’ont pas accès au dossier. Le procureur ou son substitut peuvent faire durer l’enquête préliminaire autant qu’ils le souhaitent et peuvent classer l’affaire sans suite sans que les personnes mises en cause n’aient à aucun moment accès aux pièces contenues dans l’enquête préliminaire. Dans ce type de situation, il ne reste qu’une solution, le dépôt d’une __plainte avec constitution de parties civiles__ pour obtenir la saisine d’un juge d’instruction mais depuis les lois Perben ce n’est plus automatique.

– ++Conséquence de la suppression des juges d’instruction :++

Certes ceux-ci ne sont saisis que de 4% des affaires judiciaires qui englobent des délits de tous les niveaux. Le problème de fond réside surtout dans les moyens de la justice (aujourd’hui un juge d’instruction à Paris suit en moyenne 100 à 120 dossiers) et dans les droits de la défense. Ainsi la France est un des rares pays démocratiques où l’avocat n’a pas le droit d’être présent pendant la garde à vue, et ce parce que de fait nous sommes un pays qui fonctionne sur la culture de l’aveu plutôt que sur la culture de la preuve. On a pourtant vu à de nombreuses reprises comment une garde à vue prolongée avec pressions sur la personne mise en cause pouvait aboutir à des aveux totalement fantaisistes, mais orientés par les forces de police ou de gendarmerie (affaire Dills).

Dans notre système actuel, le mis en cause peut se rétracter devant le juge qui a obligation d’entendre toute personne mise en examen. Le procureur n’a lui obligation d’entendre ni la victime ni la défense. L’avocat peut demander que le juge procède à un certain nombre d’actes d’instruction et peut introduire un recours devant la Chambre de l’instruction si le juge rejette la requête. Le procureur n’a pas à rendre compte à l’avocat des actes d’instruction qu’il met en œuvre, la défense ne peut donc pas demander de compléments d’instruction. L’enquête risque donc de reposer surtout sur le rapport de police et c’est seulement lors de l’audience publique que les avocats découvriront l’intégralité du dossier et pourront à ce moment en réfuter le contenu. Il est donc à prévoir que les audiences durent bien plus longtemps puisque le dossier n’aura pas été préparé en amont. Et malheur à celles et ceux qui n’auront pas les moyens de se payer un avocat disponible, ou qui auront recours à l’aide juridictionnelle qui rémunère les avocats avec un lance pierre, il n’y aura plus le juge pour éventuellement mettre le doigt sur les incohérences d’un dossier (même si, et Outreau l’a démontré, il peut exister des juges qui ne posent pas les bonnes questions).

Enfin, si le parquet garde le principe d’opportunité des poursuites, autant dire que de nombreuses affaires délicates pour les gouvernements en place ou pour des personnes liées à un gouvernement, termineront enterrées. Il ne faut pas oublier que de nombreuses affaires ont abouti devant les tribunaux d’abord grâce à la possibilité de déposer une plainte avec constitution de parties civiles (affaire du sang contaminé, de nombreuses affaires de santé publique…) ainsi qu’à l’obstination de juges faisant passer la justice avant les risques encourus pour leur carrière professionnelle (affaire des faux électeurs). Ceci n’est possible que parce qu’ils sont indépendants du pouvoir politique.

__Je pense donc maintenant que cette suppression n’est pas une bonne idée__ car il est peu crédible que ce gouvernement renforce les droits de la défense et arrête d’intervenir dans les dossiers individuels suivis par le Parquet. Faute donc de garanties, le juge d’instruction reste le seul rempart contre une évolution vers une justice totalement à l’ordre du pouvoir et à la facilité d’accès inversement proportionnel aux moyens financiers de chacun.

Finalement Nicolas Sarkozy a trouvé comment faire disparaître les affaires sensibles (financières, politiques, de santé publique, environnementales…) qui nécessitent une forte volonté des partie concernées, victimes et associations. C’est bien pourquoi, si nous pensons qu’il doit être possible de continuer à s’adresser à la justice pour des affaires comme le sang contaminé, l’amiante, les faux électeurs, etc., il faut se battre pour le maintien des juges d’instruction.


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