Dimanche 7 octobre aura lieu l’ élection présidentielle au Venezuela. Alors que j’ai déjà été dans plusieurs pays du cône sud de l’Amérique Latine (Chili, Argentine, Uruguay, Bolivie, Pérou), ou que je me suis intéressée à d’autres (Paraguay, Equateur), jusqu’ici mon attention s’était peu portée sur le Venezuela et mes informations se limitaient surtout à ce qui apparaît dans la presse française. Or le discours général des médias français consiste surtout à expliquer que le gouvernement de Chavez s’apparente à une dictature, qu’il n’y a pas de liberté de la presse, que tout est fait pour empêcher l’opposition de s’exprimer.
Aussi, j’ai accueilli positivement la possibilité d’aller voir sur place.
Je suis donc à Caracas depuis lundi soir et je découvre ce pays avec beaucoup de curiosité. D’abord contrairement aux pays du sud du continent c’est un pays très tourné vers les Caraïbes. La population est très métissée. Ayant séjourné en Espagne à l’époque franquiste et au Chili sous la dictature de Pinochet, je peux au moins faire des comparaisons d’ambiance. Rien à voir, pas ce sentiment d’oppression, de police avec le doigt sur la gâchette. Au contraire une ambiance décontractée, bon enfant.
Ma première préoccupation a donc été de vérifier si les médias étaient si verrouillés que cela. Surprise, au niveau des chaînes de télévision proposées : 77 dont FOX, CNN en espagnol, la télévision d’Espagne etc … Pour ce qui est des chaînes locales, ayant l’avantage de parler couramment espagnol, je peux donc regarder les différents journaux télévisés et me faire une idée. En fait, chaque camp a ses télés. Idem pour ce qui est de la presse écrite avec un avantage très net à la droite qui possède les journaux les plus vendus. Une affirmation donc qui tombe : oui il y a bien pluralisme des médias au Venezuela et même plus qu’en France puisque le gouvernement s’est effectivement donné les moyens d’avoir une presse, des radios et des télés indépendantes des pouvoirs financiers au service de la droite. La différence avec la France est, que selon le média que vous choisissez, vous avez la vision de l’opposition ou celle du gouvernement. Et franchement les deux sont aussi engagés politiquement ! Le journal télévisé de Globovision ou le quotidien El Universal valent le Figaro et la Une sans problème !
Il y a 7 candidats à la présidentielle. En fait seulement 2 comptent réellement : l’actuel président Hugo Chavez qui postule à être réélu et Henrique Capriles, candidat de la droite, unie pour la première fois depuis longtemps. Et on ne voit partout dans les rues que la propagande pour ces deux candidats. Mais nouvelle surprise, les affiches et fresques des deux cohabitent sans problème. Quand j’explique à mes interlocutrices vénézuéliennes qu’en France nous nous livrons à des bagarres d’affichage, elles sont toutes étonnées parce que cela ne viendrait à l’idée de personne ici d’arracher ou de recouvrir celles des adversaires, et c’est même interdit par la loi.
De la même façon, ce matin me promenant dans une rue piétonne très fréquentée, je croise simultanément les militants de Capriles puis ceux de Chavez distribuant leurs tracts et affiches et interpellant les passants pour les convaincre de voter pour leur candidat. Cela m’a permis de récupérer les tracts des uns et des autres. Un peu plus et je pouvais me croire rue Montorgueil pendant les dernières élections. Encore un mensonge de plus qui tombe. Vers midi, j’assiste d’ailleurs à une marche de 2000 jeunes dans cette rue pour appeler à voter Capriles.
Hier mardi, j’étais dans la quatrième ville du Pays Barquisimeto, 1 million d’habitants pour un forum pour expliquer la situation en Europe. Débat intéressant avec des militants du PSUV (le parti qui soutient Chavez) et d’autres citoyens. L’un des présents viendra d’ailleurs discuter un moment à la fin en me disant qu’il est descendant de juifs estoniens qui ont tous péri à Treblinka. Je me dis que s’il soutient Chavez, c’est quand même que les accusations d’antisémitisme souvent reprises en France et tout récemment encore par Cohn Bendit n’ont pas grand chose à voir avec la réalité. Même ambiance dans cette ville (avec un centre ancien très beau) qu’à Caracas. Nous avons même déjeuné dans un café avec, à la table d’à côté, des militants de Capriles.
Voilà ce dont je peux témoigner pour l’ambiance générale, bien loin de ce que nous racontent les divers médias français, y compris ceux se disant plus près de la gauche que de la droite.
Le programme du candidat de la droite tourne autour de trois grands axes :
réduction du rôle de l’état aux stricts missions régaliennes. C’est drôle, c’est un discours que nous avons entendu durant ces dix dernières années dans la bouche des ténors de l’UMP
décentralisation avec transfert de pans entiers d’interventions de l’état au niveau local : écoles y compris la fixation des programmes, l’état n’interviendrait plus que pour le paiement des enseignants ; santé etc …
retour à l’économie de marché qui serait mise à mal par les nationalisations. Ainsi, il veut ouvrir le capital de l’entreprise nationale du pétrole.
Une autre proposition porte sur le statut de la banque centrale du Venezuela qu’il veut modifier pour lui donner un statut semblable à celui de la BCE. Ainsi elle ne prêterait plus à l’état. Lorsqu’on voit le désastre que cela provoque en Europe avec des banques qui s’enrichissent sur les différences de taux d’emprunt à la BCE et de prêts aux états ou entreprises, on ne peut que frémir sur les conséquences que cela pourrait provoquer pour l’économie vénézuélienne.
En résumé, le programme de la droite est un programme de facture libérale traditionnelle. Le gouvernement d’Hugo Chavez a beaucoup fait pour améliorer les conditions de vie de la population. L’arrivée de Capriles au pouvoir représenterait une vraie régression sociale.
Les sondages donnent Chavez gagnant. Les bureaux de vote ouvrent dimanche à 6 heures du matin et doivent fermer à 6 heures du soir. Mais différence avec la France, s’il reste des électeurs qui font la queue pour voter à 18 heures, le bureau ne ferme que lorsque tout les présents ont voté. Le système est informatisé avec impression du bulletin de vote qui est ensuite déposé dans l’urne. Il est donc facile de vérifier qu’il y a adéquation entre le nombre de votants et le nombre de bulletins déposés dans l’urne. Ce système est considéré par diverses instances internationales comme très sur. Il est donc particulièrement inquiétant que la droite refuse de s’engager à respecter les résultats et ait déjà appelé ses partisans à descendre dans la rue dès 16 heures et ce alors que les bureaux ne ferment qu’à 18 heures. Pourtant ses représentants siègent à la commission électorale et seront présents dans tous les bureaux de vote ainsi que de nombreux observateurs internationaux venus de tous les pays et de toutes les forces politiques. La CNE (commission nationale électorale) est chargée de vérifier le respect du déroulement des élections dont la partie financière puisque la loi oblige à une transparence totale.
De fait, l’opposition semble attirée par une stratégie de la tension en annonçant que si les résultats ne lui conviennent pas, elle ne les reconnaîtra pas : déclaration d’un dirigeant du principal parti de droite qui soutient Capriles. Ceci est par ailleurs repris par la droite à l’échelle internationale (exemple le journal ABC d’Espagne). Leur volonté est de délégitimer Hugo Chavez à défaut de pouvoir le battre démocratiquement. Nous pouvons donc nous attendre à ce que lundi en France les médias prennent le relais.
Je ne regrette donc pas d’être ici car cela me permet de voir de visu ce qu’il en est. Mon but n’est pas de dire que tout est parfait au Venezuela (mais quel pays l’est?), de dire que je suis d’accord à 100 % avec Hugo Chavez (bien sûr que non à commencer par ses relations avec l’Iran) mais de discuter sur ce qui se passe réellement et non sur des mensonges qu’on nous assène régulièrement en Europe.