Crise financière : intervention de Jacques Muller au Sénat

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Le fameux “plan d’urgence” du gouvernement face à la crise financière a été présenté à l’Assemblée le 14 octobre et au Sénat le lendemain. Pour une fois, la déclaration de l’urgence était justifiée ! Vues la crise financière et ses conséquences prévisibles sur l’économie, et afin d’éviter une crise du type de celle de 1929, les député-e-s Verts ne souhaitaient pas a priori voter contre, mais exigeaient que des garanties soient apportées, ainsi que des contreparties. Mais compte-tenu des délais, il n’a pas été possible de déposer des amendements. Nos exigences n’ont donc pu qu’être indiquées dans une prise de parole. Or, ce plan ne comporte aucune contrepartie de la part des banques aidées, et pas de protection pour les victimes les plus modestes de la crise (par exemple, les petits propriétaires qui ont contracté un prêt relais pour acheter un nouveau bien immobilier et qui n’arrivent pas à vendre dans les délais prévus leur précédent logement, ou ceux à qui les banques ont vendu des prêts à taux variables et tous ceux à qui les banques facturent sans pitié des frais de découverts astronomiques). De plus, le gouvernement a refusé que l’État obtiennent des droits de vote en échange des prêts accordés. Ainsi les banques peuvent très bien recommencer leurs pratiques incorrectes. A l’Assemblée, les député-e-s des Verts ont donc fini par opter pour l’abstention. Au Sénat, les Verts disposaient d’un jour supplémentaire, mis à profit pour proposer d’améliorer le texte du gouvernement. Devant le refus de prendre en compte leurs amendements, notamment concernant les paradis fiscaux, ils ont voté contre le plan.

Voici l’intervention en discussion générale de Jacques Muller, sénateur Verts, ainsi que le texte et la discussion de l’amendement refusé par l’UMP.
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LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR LE FINANCEMENT DE L’ECONOMIE POUR 2008

15 octobre 2008

Extrait de la séance (Discussion générale)

__M. Jacques Muller.__

Nous voici rassemblés pour légiférer en urgence afin d’apporter des solutions concrètes à ce que l’on appelle la crise financière. Les conséquences d’une crise de l’économie réelle sur la vie quotidienne de nos concitoyens seraient tellement graves qu’il est de notre devoir de récuser toute approche partisane et de mettre en oeuvre des solutions concrètes et efficaces. Pour autant, croyez-vous un instant que l’étatisation des créances toxiques et la recapitalisation des banques résoudra la crise, mondiale, à laquelle nous sommes confrontés ? Ne faisons pas l’autruche. II y a bientôt vingt ans s’écroulait le mur de Berlin, marquant la fin du socialisme dit « réel ». Aujourd’hui, nous assistons à l’écroulement d’un autre mur, le mur de l’idéologie ultralibérale qui a contaminé nos sociétés.

Cette imposture idéologique néolibérale n’a eu de cesse de ringardiser le politique au retour duquel appelait hier le président du Sénat ; elle a laissé croire que la « main invisible » des marchés financiers était le seul garant de l’optimum économique et social. Comme si l’intérêt général n’était que la somme des égoïsmes particuliers, comme si l’histoire pouvait se construire rationnellement en laissant faire ! Ne nous trompons pas de crise. La crise financière mondiale ne provient pas de la rémunération excessive -donc a priori facile à corriger, il ne s’agirait que de mesures techniques- des banquiers et autres PDG. Elle plonge ses racines dans la crise sociale, plus précisément dans l’abandon de la régulation fordiste et keynésienne qui avait prévalu jusqu’au début des années 80.

Par le jeu de règles collectives issues d’un véritable compromis social entre le capital et le travail, les gains de pouvoir d’achat évoluaient parallèlement aux gains de productivité du travail ; on résolvait ainsi le problème consubstantiel du capitalisme, qui l’avait conduit dans la crise de 29 : celui des débouchés. Mais, depuis le début des années 80 et la révolution néolibérale qui, partie des Etats-Unis, a déferlé dans tous les pays industrialisés, nous observons la même baisse tendancielle, durable, profonde, de la part des salaires dans la richesse marchande créée au profit des revenus du capital. On retrouve partout les mêmes recettes néolibérales : austérité salariale et flexibilisation du marché du travail. Aux États-Unis, d’où est partie la crise financière, la durée moyenne du travail n’est plus que de 33,6 heures, non à cause d’une RTT mais de la multiplication des emplois précaires. Votre gouvernement n’a eu de cesse de transposer ce modèle, comme en témoignent les lois dites de « modernisation du marché du travail » et de « modernisation des relations sociales et du temps de travail ». La nouvelle norme de travail, y compris pour les cadres, c’est l’emploi précaire, que nos concitoyens ont fini par accepter sous la pression du chômage.

Les résultats macro-économiques sont clairs : la part des revenus du travail dans le PIB a diminué de 15 % depuis 1980, passant de 78 % à 66 %. Ces 200 milliards prélevés chaque année depuis vingt ans sur la richesse nationale alimentent cette économie-casino qui gangrène l’économie réelle et dont les bénéficiaires ont été particulièrement soignés par votre gouvernement, entre la baisse de l’impôt sur le revenu et le bouclier fiscal. Ce sont 200 milliards annuels qui ne participent pas au financement de la sécurité sociale ni de la retraite par répartition, dont le sauvetage devrait être une priorité nationale -chacun aura compris ce que valent les promesses des chantres de la retraite par capitalisation ! Ces 200 milliards, pris chaque année à la rémunération du travail, manquent aux débouchés internes : comme nos voisins, nous comptons sur les exportations, c’est-à-dire les marchés des autres, pour écouler notre production.
Pour éviter l’écroulement pendant ces deux décennies, on a pratiqué la fuite en avant dans la dette. Les États-Unis ont montré la voie : de 1950 à 1980, le rapport dette/PIB est resté constant, à 120 % environ ; depuis la rupture engagée par Reagan et ses grands prêtres de l’ultralibéralisme, ce ratio a doublé. Les États-Unis ont une économie artificielle qui vit à crédit, et que nous avons laissé faire puisqu’elle tire nos propres économies en important à tour de bras nos produits : leur balance commerciale est déficitaire depuis 1971.

Dans ce contexte, les propositions que faisait le candidat Sarkozy prennent un relief particulier : « il faut développer le crédit hypothécaire des ménages » de sorte que « ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement ». Beau programme lorsque, simultanément, on n’a de cesse de précariser les salariés, au nom de l’idéologie qui réduit le travail des êtres humains à une simple marchandise ! Il ajoutait : « une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain ». Celui qui portait ainsi aux nues le rêve américain nous explique aujourd’hui que la « moralisation du capitalisme financier demeure une priorité ». Ce n’est plus du grand écart, c’est un double salto arrière !

Et vous venez maintenant nous demander de tendre benoîtement avec vous les filets de sécurité, au nom de je ne sais quelle exigence de solidarité nationale ! Nos concitoyens n’en peuvent plus d’assister impuissants au cirque pathétique des serviteurs de l’ultralibéralisme. Pour autant, les Verts ne se déroberont pas à leurs responsabilités : nous ne nous opposerons pas au panel de mesures de bon sens que vous nous proposez aujourd’hui mais nous ne garderons pas le silence. Quand Martin Hirsch peine pour récolter le 1,6 milliard nécessaire au financement du RSA, les chiffres maniés aujourd’hui impressionnent. Dans le même esprit, nous ne pouvons que relever et dénoncer, avec les partenaires sociaux réunis -comme au bon vieux temps du pacte social fordiste ?- le hold-up effectué par le Gouvernement sur le 1 % logement pour financer le plan Boutin.

Dans un esprit constructif, pour participer à ce plan d’urgence, nous faisons un certain nombre de propositions tant sur les plans international -puisque la France préside encore l’Union européenne pour quelques mois- que national.
Nous proposons que la garantie de l’État soit conditionnée par un meilleur encadrement des rémunérations et une double exigence sociale et environnementale. Nous proposons de lutter contre les places offshore et les paradis fiscaux. Il faut, en la matière, commencer par balayer devant notre porte et imposer des règles strictes à la présence d’entreprises françaises dans ces centres. II convient également de contrôler les sociétés de refinancement, de lutter contre les prédateurs que sont les fonds LBO et, enfin, de revenir sur le bouclier fiscal.

Ces dispositions d’urgence étant prises, nous ne pourrons éviter d’analyser la cause profonde de la crise : l’abandon de toute régulation macro-économique. Un remède exclusivement financier ne serait donc qu’un cautère sur une jambe de bois : l’économie réelle reste menacée par la crispation sur les doctrines néolibérales, les politiques dites de l’offre. Un retour à des politiques de régulation doit se construire à l’échelle adaptée et cesser de démanteler au plan national ce qui contribue à consolider la formation des revenus du travail, le pouvoir d’achat. Revalorisation des retraites inférieure à l’inflation, franchises médicales, nouvelles cotisations sur les mutuelles, taxe sur l’épargne populaire pour financer le RSA, licenciements dans la fonction publique -toutes ces dispositions, contraires à la consolidation de la demande globale, accentuent les risques d’une crise majeure.

Les Verts n’appellent pas à un simple New-Deal néofordiste et productiviste : nous vivons dans un monde fini ! Ainsi le nouveau pacte social à construire ne saurait être un copier/coller de celui sur lequel se sont appuyées les Trente Glorieuses. Il faut lancer sans tarder un Eco-Deal !

A l’heure où une croissance de 1 % semble une hypothèse optimiste, le rapport Stern calcule qu’il faut prélever un point de croissance chaque année pour éviter les conséquences humaines et géopolitiques incalculables d’une montée des océans. Dans le même esprit, l’AIEA rappelle qu’il faudrait investir 42 000 milliards pour passer effectivement aux énergies renouvelables.

Nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités, nous ne ferons pas obstacle à la présente loi qui s’inscrit dans un sursaut historique de l’Europe politique qu’il nous faudra construire, non l’Europe des marchés, des marchands et des spéculateurs, mais une Europe des citoyens.

Il est de notre devoir de dire haut et clair qu’il faut sortir du paradigme néolibéral et de l’idéologie de la croissance pour travailler à un nouveau compromis social, écologiste et solidaire, qui mette les liens entre les personnes avant les biens. Pareille transformation risque de prendre du temps. Prenant acte des promesses de moralisation du système du Président de la République, nous proposerons des amendements techniques, car nos compatriotes n’accepteraient pas que l’on mette du carburant dans la machine financière sans lui fixer un cap. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

__M. Hervé Novelli, secrétaire d’État.__

Vos propositions sont hors sujet, monsieur Muller. Je comprends vos attaques en règle mais je ne puis y souscrire.

”Vous pouvez télécharger l’amendement “paradis fiscaux” et sa discussion en suivant” [ce lien|http://martinebillard-blog.org/share/minifilemanager/Paradis_fiscaux-Intervention_J._Muller-Sénat-15 10 2008-Amdt n°3.rtf|fr].


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