Après l’Angleterre, l’Irlande ou l’Espagne, c’est au tour de l’Allemagne de devenir la référence absolue du gouvernement et du patronat. Dimanche 29 janvier, durant son interview télévisée, le Président de la République a justifié ses réformes en la citant à vingt-huit reprises. La TVA « sociale » ? La France doit l’adopter puisque l’Allemagne l’a fait ! Les « accords de compétitivité » ? Le gouvernement allemand les a mis en place en 2006, nous n’avons que trop traîné ! Un véritable alignement sur la politique économique germanique. Cette interview a confirmé une tendance amorcée il y à plusieurs mois : le « modèle allemand » est érigé en exemple par l’UMP et le patronat, et Nicolas Sarkozy, dimanche soir, n’a fait que mettre en musique une partition déjà rédigée par Laurence Parisot, Jean-François Copé et consorts.
——–
Au delà du simple fait de copier le modèle d’un pays, ce qui montre le degré d’originalité dans la réflexion sarkozyste, s’inspirer à ce point de la stratégie économique allemande est dangereux. Dangereux pour les travailleurs français, dangereux pour la société française. Car derrière les prétendus succès décris par le président, sa majorité et le patronat, s’affirme une réalité, cruelle, implacable, concrétisée par ces mots : travailleurs pauvres, précarité, inégalités, déclin démographique.
__Une réforme particulièrement dure pour les travailleurs__
((/public/photos/.10322548-large_s.jpg|10322548-large.jpg|R|10322548-large.jpg, fév. 2012))
Au cœur de ces maux se trouvent les lois dites « Hartz », du nom du Directeur des Ressources Humaines de Volkswagen de l’époque, grand inspirateur de la réforme du marché du travail menée, en 2003, par le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder. Les principes de base : réduire les prestations sociales accordées aux demandeurs d’emplois et durcir les conditions d’acceptabilité d’un emploi, avec, en cas de refus, une réduction de ces prestations. Cela dans le but d’inciter au retour à l’emploi, même à faible rémunération (ces emplois ont d’ailleurs été subventionnés par le gouvernement fédéral). Les conséquences furent la création de trois types de contrats : les « mini-jobs », dont le salaire ne peut dépasser 400 € par mois et sans limitation dans le temps. Les « midi-jobs », dont le salaire doit être compris entre 400 et 800 €. Et les « ein-euro jobs », destinés aux chômeurs longue durée. Ce sont des emplois à durée déterminée, indemnisés entre 1 et 2,5 € de l’heure, créés pour, officiellement, faciliter leur réinsertion professionnelle.
Résultats : en 2010, selon DIW, un institut de recherche économique allemand, près de 6 millions de travailleurs touchaient moins de 8,5 € de l’heure, et plus d’un million recevaient une rémunération inférieure ou égale à 5 euros brut. A titre de comparaison, en France, le smic, qui s’élève à 9,22 € brut de l’heure, concerne environ 3,5 millions de personnes. Conséquence logique : dans un rapport publié en mars 2011, la Cour des Comptes a relevé qu’entre 2000 et 2009, le taux de pauvreté a augmenté de 50% en Allemagne, alors qu’il a diminué de 20% en France sur la même période. « Der paritïtische Verband », une confédération d’organismes d’entraide, estime à 14% le pourcentage de la population allemande vivant sous le seuil de pauvreté, fixé à 826 € par mois pour une personne seule. En France, ce taux est de 13,5%, selon l’INSEE, alors même que le seuil de pauvreté est plus élevé : 954 €.
__Des conséquences sociales désatreuses__
Le gouvernement allemand a donc volontairement paupérisé sa population active en pratiquant la compression salariale et en favorisant le développement du travail précaire, sous prétexte de favoriser la « compétitivité » des entreprises et de réduire le chômage. Par ailleurs, l’idée, propagée par la droite et le patronat, selon laquelle les allemands travaillent plus longtemps que les français est fausse. Si, en effet, la durée effective du travail à temps complet est plus importante en Allemagne qu’en France, la durée moyenne effective du travail est supérieure en France, en raison du poids très important du chômage partiel en Allemagne. Ainsi, selon Eurostat, cette durée moyenne était, en 2009, de 1554 heures par an en France, contre 1390 en Allemagne.
((/public/photos/.manifestations_Die_Linke_s.jpg|manifestations_Die_Linke.jpg|L|manifestations_Die_Linke.jpg, fév. 2012))
10 ans après les réformes Schröder, les conséquences de cette politique économique se font aujourd’hui sentir dans une société allemande à la démographie déclinante. Une société où le taux de fécondité, un des plus faible d’Europe, ne peut assurer le renouvellement des générations. Mécaniquement, la proportion de jeunes de moins de 15 ans baisse progressivement, quand la population âgée de 65 ans ou plus augmente. Cette dernière représente d’ailleurs une personne sur 10 en Allemagne contre 1 sur 5 en France. Ainsi, la population globale allemande diminue et atteindra, si rien ne change, 68 millions d’individus en 2050, selon les statistiques officielles allemandes, contre un peu plus de 80 millions aujourd’hui. La France, elle, suit un chemin exactement inverse, dans tous les domaines pré-cités, et son poids démographique augmentera jusqu’à rejoindre celui de l’Allemagne en 2050, alors que nous comptons actuellement 18 millions d’habitants de moins.
Le pire dans cette politique économique est qu’elle ne donne pas de résultats significativement meilleurs qu’en France. Exceptée la balance commerciale, les indicateurs allemands ne sont pas plus au beau fixe. Le taux de croissance (revu à la baisse pour 2012 à 0,7%, contre 0,5% en France), et la dette publique (qui s’élève à 83 % du PIB contre 85 % en France) ne sont pas à des niveaux bien meilleurs que ceux observés en France. Plus grave encore, l’économie allemande, basée sur l’export, tournée vers l’Europe et les pays émergents, est beaucoup plus dépendante de la conjoncture internationale, donc plus fragile. Au plus fort de la crise, en 2009, le PIB allemand a reculé de 5,1% quand la France limitait les dégâts (-2,7%).
Précarisation, paupérisation des travailleurs et vieillissement accéléré de la population : telles sont les conséquences d’un modèle économique allemand que souhaitent importer Nicolas Sarkozy et le patronat. Un modèle que le Front de Gauche rejette car les travailleurs français, tout comme la société française, n’en n’ont pas besoin. Comme le dit Jean-Luc Mélenchon, « l’Allemagne décline, Sarkozy a tort d’en faire un modèle ».
Sources : »Libération », »Le Monde », »Nouvel Obs », »Eurostat », »CIRAC » (Centre d’informations et de recherche sur l’Allemagne contemporaine), »Bureau fédéral des statistiques allemandes », » »les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne » », rapport public thématique de la Cour des Comptes, mars 2011, »Observatoire des inégalités », »INSEE ».