Les Français sont plus préoccupés par la crise et les lendemains sombres qui se préparent que par le fait de savoir s’il faut une loi ou pas concernant le port du voile intégral. Mais Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, en a fait son cheval de bataille depuis plusieurs mois, engagé y compris dans une surenchère avec le gouvernement. Personne, à part quelques forcenés de la liberté individuelle, ne peut nier le caractère opprimant d’un tel vêtement, porté au nom d’une prétendue obligation religieuse pour garantir la pureté de la femme.
La montée des intégrismes et fondamentalismes religieux, quels qu’ils soient, signifie toujours la régression de la place des femmes dans l’espace public et de leurs droits. C’est par exemple la remise en cause de l’IVG, c’est le port du foulard et maintenant le voile intégral. Ce sont toujours les femmes qui paient le plus lourd tribut aux intégrismes.
Mais l’atteinte à la dignité des femmes, c’est aussi la marchandisation du corps de la femme avec la publicité utilisant le corps des femmes pour vendre des voitures ou des frigos, les mannequins anorexiques pour vendre des fringues, les velléités de reconnaître la prostitution comme un métier.
D’un côté donc, les femmes dont le corps est nié jusqu’à l’extrême de le cacher totalement, de l’autre au contraire l’exhibitionnisme pour vendre.
Mais la loi n’a pas vocation à définir si un vêtement est opprimant ou non. La seule interdiction en droit français est la répression de l’exhibitionnisme sexuel. L’exigence d’une tenue décente ne peut constituer une obligation de portée générale. Cela relève de la réglementation et donc des arrêtés municipaux qui ne peuvent concerner l’ensemble du territoire de la commune.
De même, la République n’a pas à se mêler de savoir si le voile intégral est une obligation ou non de l’islam, car elle n’a pas à se mêler du contenu des religions. Elle garantit la liberté de conscience et la laïcité de l’espace public et le fait que des croyances ne portent pas atteinte aux valeurs de la République. Mais chacun a le droit de s’habiller comme il le souhaite du moment que cela ne porte pas atteinte à l’ordre public.
Pourtant, nous assistons indéniablement ces dernières années à un grignotage de la laïcité dans l’espace public, et à la volonté des religions de reconquérir un espace plus important que celui qui leur était dévolu jusqu’ici en France.
Cela est vrai du côté du gouvernement avec l’organisation par le secrétariat d’État aux Anciens combattants d’offices religieux par exemple pour le 8 mai, avec la reconnaissance des diplômes délivrés par les universités catholiques, avec la décision de modifier la loi pour permettre la finance islamique. Comme si l’éthique en finance devait dépendre d’une religion et ce au moment où parallèlement se crée en Suisse un indice boursier chrétien. Les dernières élections régionales ont aussi vu apparaître des listes dénommées « liste chrétienne ».
Cela s’exprime aussi par les revendications de restauration scolaire respectant les prescriptions religieuses, l’exigence de non mixité des activités sportives, le refus d’être examiné par du personnel soignant de sexe opposé, la demande de salles de prières sur les lieux de travail…
Il ne faut pas non plus oublier qu’en Alsace-Moselle, les cours de religion sont toujours obligatoires et qu’il faut demander une dérogation pour ne pas les suivre.
Les religions finissent par diviser la société et à terme par opposer les citoyens entre eux, chaque religion étant convaincue de détenir la vérité révélée. Combien de guerres, de massacres au nom des religions ?
Or ni la résolution Copé, que les députés du Parti de Gauche n’ont pas souhaité voter, comme expliqué dans [ce billet|http://www.martinebillard-blog.org/index.php?2010/05/11/473-voile-integral-le-parti-de-gauche-rejette-la-resolution-cope|fr], ni le courrier du Premier ministre accompagnant l’avant-projet de loi envoyé aux présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale, ne font référence à la laïcité, alors qu’il est fait référence aux valeurs de la République. Comme si ce principe était jugé trop encombrant de nos jours.
Au moment où les amalgames entre musulmans et étrangers sont constants, il est important de rappeler que si tout Français, comme tout non-Français résidant de façon permanente ou temporaire sur le sol français, doit respecter les lois de la République, la grandeur de la République est de ne s’intéresser ni à l’origine ni à la religion des citoyens résidant sur son sol. Les sous entendus sur les immigrés musulmans qui veulent nous imposer leurs coutumes sont donc insupportables en ce qu’ils nient le droit d’être français et musulman.
La religion n’est pas liée à l’origine de sa famille. La République défend bien plus que la liberté de pratiquer sa religion, elle défend la liberté de conscience, ce qui veut dire la liberté de ne pas avoir de religion mais aussi celle d’en changer. Donc tout Français a le droit de devenir musulman, catholique, protestant, juif, bouddhiste ou que sais-je si tel est son souhait.
__Une loi est-elle utile ?__
* si c’est une loi d’interdiction du voile intégral dans les services publics : oui
* si c’est une loi qui réprime l’usage abusif de l’image du corps de la femme dans la publicité : oui
* si c’est une loi qui interdit de faire travailler des mannequins anorexiques : oui
* si c’est une loi qui réaffirme qu’un risque imminent pour la santé est opposable à toutes les prescriptions religieuses comme le refus de transfusion sanguine ou celui d’être examiné par un médecin d’un autre sexe : oui
* si, plus généralement, c’est une loi qui réaffirme que le vivre ensemble dans la République ne peut signifier que les interdits de quelque religion que ce soit sont supérieures à la loi de la République : oui
* si c’est une loi qui garantit l’égalité de tous les citoyens, croyants ou non, et quelles que soient leurs croyances : oui.
Mais s’il s’agit de faire une fois de plus une loi d’affichage pour qu’elle soit ensuite déclarée contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme, alors le remède serait pire que le mal et au final, les intégristes qui utilisent les femmes pour grignoter toujours plus notre laïcité, seraient hélas les grands gagnants.
__Une loi d’interdiction générale est-elle possible, est-elle souhaitable, est-elle applicable ?__
* Ce qui me fait hésiter, ce n’est pas l’argument : « ces femmes vont rester chez elles ». Non, nous sommes dans un pays de droit, la loi exclut toute soumission de la femme à l’homme dans le mariage. La loi actuelle permet déjà à une femme de s’opposer à son mari si celui-ci cherche à lui imposer le port du voile intégral. Il n’est donc n’est pas nécessaire de modifier la loi. Le délit spécifique créé par l’avant-projet de loi revient en fait à diminuer la peine encourue pour violence et à l’aligner sur le délit d’exhibition sexuelle.
* En termes strictement juridiques, elle est fragile car elle ne peut être édictée ni au nom de la laïcité, ni au nom de la dignité de la femme (l’excision est interdite car c’est une atteinte physique qui plus est irrémédiable et en plus pratiquée sur mineure, et la polygamie au sens de plusieurs mariages civils parce que notre droit exige qu’on ne soit pas déjà marié pour se marier une nouvelle fois).
La seule justification envisageable dans le cadre de notre droit national mais aussi dans le cadre du droit européen, est l’atteinte à l’ordre public. Mais cela ne peut avoir de portée générale. Il est d’ailleurs à remarquer que l’interdiction du port de la cagoule est passée par décret et ne concerne que les manifestations et rassemblements, justement parce qu’une loi de portée générale était constitutionnellement impossible.
Donc beaucoup de doutes sur comment agir pour éviter que de plus en plus de femmes soient recluses derrière de telles prisons, nouvelles versions de la ceinture de chasteté du moyen-âge.
Mais une conviction, comme féministe, tenante de la laïcité, et antiraciste, il devient urgent que l’Observatoire de la laïcité créé par décret du 25 mars 2007 soit installé et que de grandes campagnes sur la laïcité et les droits des femmes soient menées notamment en direction des jeunes. De même il est insupportable que les discriminations basées sur la couleur de peau ou la religion supposée non seulement perdurent dans notre pays mais aient plutôt tendance à augmenter au lieu de diminuer. Et ce n’est pas ce gouvernement qui va agir en ce sens alors que toutes ses politiques ont plutôt l’effet inverse.