—-J’étais 3 jours en Tunisie avec Jean-Luc Mélenchon et une délégation du Parti de Gauche pour apporter notre solidarité à tous les démocrates tunisiens qui se battent pour exiger le départ du gouvernement d’Ennahda qui ne respecte pas le mandat qui avait été donné à l’Assemblée Constituante.
Je ne vais pas vous faire un récit détaillé, vous le trouverez sur le site du PG en 2 billets écrits par Sakina Faouzi, membre du Bureau National du PG et qui était partie prenante de notre délégation.
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Je vais donc plutôt vous donner des impressions complémentaires
Tous nos interlocuteurs sans exception nous ont dit la même chose : il y a urgence, le pays est en train de couler, le chômage explose, l’inflation a doublé, tout est à l’arrêt. Tout un pays retient son souffle en espérant une sortie pacifiste mais inquiet en même temps.
Et il y a de quoi, puisque deux dirigeants de gauche sont déjà tombés sous les balles de tireurs anonymes : en février dernier Chokri Belaid et il y a quarante jours, Mohamed Brahmi assassiné devant chez lui, tous les deux dirigeants reconnus de formations politiques constituant le Front Populaire. D’autres sont menacés de mort. Le siège de l’UGTT, le plus grand syndicat de salariés, a carrément été attaqué par des groupes armés qui voulaient s’emparer du local.
Il faut donc que le gouvernement d’Ennahda, qui a outrepassé le mandat d’un an qui était donné à l’assemblée nationale constituante ainsi que la limitation de ses pouvoirs à la rédaction d’une nouvelle constitution et qui en plus est totalement incompétent, s’en aille. Des négociations sont en cours qui achoppent sur 2 points :
– la date de démission : Ennahda essaie de gagner du temps pour s’emparer, au travers de milliers de nominations jusqu’au plus bas niveau de l’appareil d’état, de tous les rouages nécessaires afin de contrôler totalement le futur processus électoral. Toutes les responsables ont beaucoup insisté sur ce point et sur le risque que dans ces conditions il n’y ait pas d’élections libres en Tunisie.
– le rôle d’un gouvernement de transition pour lequel Ennahda exige qu’il n’ait pas de pouvoir de révocation ni de nouvelles nominations, ce qui est évidemment inacceptable pour l’opposition.
Dans nos diverses rencontres, ce qui m’a frappé, c’est la détermination des uns et des autres malgré les dangers qu’ils courent tous. Être militant politique en Tunisie aujourd’hui, et encore plus dirigeant politique de gauche, ce n’est pas seulement donner du temps, ni même prendre des risques professionnels, ni même risquer sa liberté, c’est risquer sa vie. Cela donne encore plus de gravité et de poids aux propos qui nous étaient tenus.
Mais beaucoup nous ont aussi dit leur tristesse de voir l’évolution du positionnement de la France dans le monde arabe. Ils espéraient, après le soutien apporté jusqu’au bout à Ben Ali, que la leçon serait tirée. Or ils ont l’impression aujourd’hui que l’opposition n’est pas entendue, que le gouvernement français s’accroche au mythe d’un gouvernement islamique modéré. Or eux voient se mettre en place ce qu’ils appellent un coup d’état rampant qui vise à éliminer toute parole d’opposition avec le muselage de la presse par le renvoi de journalistes et la prise de contrôle de médias, la multiplication des poursuites judiciaires y compris contre les artistes. Ennahda a mis en place des « Ligues de protection de la révolution » qui sont de véritables milices qui n’hésitent pas à agresser les manifestations d’opposition et essaient de faire régner « leur ordre islamiste » dans les quartiers.
C’est pourquoi pour l’ensemble de l’opposition regroupée dans le Front de salut national, il n’y a qu’un mot d’ordre « Dégage ». Rien n’est possible avec Ennahda gardant une partie des leviers du pouvoir. Il ne faut pas oublier que la Tunisie, après le coup d’état militaire en Egypte, reste le seul pays où les frères musulmans dirigent un gouvernement en dehors de la Turquie. Perdre les élections tunisiennes seraient donc le signe d’un reflux sur toute la région. Ils sont prêts à tout pour empêcher une telle éventualité. Pour que des élections libres et démocratique puissent se tenir, il faut qu’un gouvernement indépendant les prépare et gère les affaires de l’état jusqu’à la mise en place d’un nouveau gouvernement issu des urnes.
Les semaines qui viennent vont donc être décisives. Et nous en France nous avons la responsabilité d’expliquer la situation là bas, d’informer et d’interpeller le gouvernement français pour qu’il comprenne que le camp du progrès n’est pas avec la troïka dominée par Ennahda. De même toute intervention militaire en Syrie serait désastreuse car porteuse de dangers de contagion en Tunisie.
Pour finir je voudrais rendre un hommage appuyé aux femmes tunisiennes : elles étaient très nombreuses dans la manifestation de samedi y compris en première ligne. Mais je pense aussi à Mbarka Brahmi, la veuve de Mohamed Brahmi, si forte et si déterminée malgré le malheur qui l’a frappé elle et ses enfants et qui m’a très fortement impressionné dans sa prise parole lors du meeting clôturant la marche de samedi. Et bien évidemment à notre camarade Besma Khalfaoui, veuve de Chokri Belaïd. Elle nous avait transmis un message qui avait été lu lors de notre congrès puis nous l’avons reçu lors de notre Remue-Méninges cet été à Grenoble où elle nous avait fait l’honneur d’accepter de prendre la parole. Toutes les deux continuent le combat.
Honneur à ces femmes courageuses.