J’ai finis par craquer et lire La Meute pour me faire ma propre opinion à partir du livre lui-même.
Pour avoir appartenu à la coordination politique de la France Insoumise en tant que co-responsable du comité électoral, je me sens assez bien placée pour réfuter un certain nombre d’informations contenues dans cet ouvrage.
Déjà je précise que les auteurs de ce livre ne m’ont jamais contacté. Or je découvre à la page 90 que j’aurais été chargée du recrutement du Comité de respect des principes (CRP) selon un ancien membre de cette instance qui n’a pas eu le courage de faire cette déclaration en son nom propre. J’avoue être restée stupéfaite en lisant cela. Je ne me suis jamais occupée du CRP de près ou de loin et encore moins de son recrutement. La moindre des choses aurait été de m’appeler pour vérifier cette assertion, d’autant que mon numéro de téléphone est facile à trouver. Mais non, car pour ces journalistes toute personne en rupture avec la FI dit forcément la vérité.
Plus globalement il est très peu question de politique dans ce livre comme si tout se réduisait à des problèmes relationnels entre personnes.
Je ne viens pas du tout de la même histoire politique que Jean-Luc Mélenchon. Je l’ai croisé pour la première fois dans les années 80 à Massy lors d’une fête de soutien à la lutte du peuple chilien, à laquelle était invité Pascal Allende, neveu du président Allende. Jean-Luc était l’organisateur de cet évènement en tant que directeur de cabinet du maire de Massy.
La deuxième fois c’est en 2005 dans la campagne pour le non au TCE, Traité constitutionnel européen, notamment à Clermont-Ferrand dans un superbe meeting où j’intervenais au nom des Écologistes pour le non.
Tentatives de regroupement à la gauche du PS
A la suite de cette campagne du TCE, des tentatives de candidature unitaire eurent lieu autour des CUAL pour la présidentielle de 2007. Elles échoueront après une tentative de primaire incompréhensible (avec 8 candidats dont Clémentine Autain) et l’impossibilité de trouver un accord. Ce sera la fin des CUAL.
Les tentatives de regroupement continueront cependant, notamment avec la création de la FASE (Fédération pour une alternative sociale et écologique) en décembre 2008 suite à un appel de Politis (que j’ai signé ainsi que Clémentine) où se retrouvaient notamment des écologistes et les Communistes unitaires. Mais ces derniers ne franchiront pas le cap de la rupture avec le PCF. Leurs député.e.s ont reculé au moment décisif.
Parallèlement le Front de Gauche se constitue entre le PCF et le Parti de Gauche et prépare les élections européennes de 2009. La FASE sera incapable de décider qui soutenir entre le Front de Gauche et le NPA.
C’est donc le Parti de Gauche qui aura la main sur la recomposition politique. Les autres forces politiques ne peuvent s’en prendre qu’à elles-même. Dans ce genre de contexte c’est celui qui va de l’avant, qui est le plus décidé, qui ne passe pas son temps à tergiverser, qui est celui qui entraîne derrière lui.
Sans la décision prise par Jean-Luc Mélenchon de sortir du PS en décembre 2008 et de construire le PG, nous serions toujours dans le nième épisode de construction d’une gauche radicale anticapitaliste et écologiste. Il faut savoir le reconnaître et ce livre se garde bien évidemment d’en parler.
Quelque soit les critiques que les Insoumis.es à la base peuvent porter sur tel ou tel aspect du fonctionnement, ou même sur certaines prises de position, ce que les journalistes sont incapables de comprendre c’est le fait que les Insoumis.e.s se retrouvent globalement dans le programme de la FI. Il est d’ailleurs significatif que celles et ceux qui ont rejoint l’Après ne le remettent pas en cause. La divergence n’est pas d’ordre programmatique mais tactique par rapport au moment politique. Or il n’y a pas d’espace politique pour construire une autre force politique entre PS EELV et FI. Et ceux qui rêvent de voir la FI s’effondrer se font des illusions car la relève est là.
Le livre traite aussi trois moments de façon apolitique voire carrément fausse.
Le congrès du PG de 2015 (p. 74-75)
Ce qui est écrit est totalement faux. Ayant gardé les archives, j’ai pu vérifier. Eric Coquerel, Manuel Bompard, François Cocq et Danielle Simonnet ont signé la même plate-forme présentée au conseil national de préparation du congrès. J’en ai signé une autre. L’assertion « le trio Cocq, Bompard, Amard l’emporte au nez et à la barbe de Coquerel et Billard » n’est donc tout simplement pas possible. Ce n’était quand même pas difficile de vérifier !!!! A l’issue de ce conseil national, nos plate-forme ont fusionné pour ne présenter qu’un seul texte au congrès.
Le débat principal a tourné autour de la relation à l’UE. La plate-forme, qu’on peut appeler oppositionnelle, prônait la sortie de l’euro ce qui n’était pas la position du PG.
Les élections européennes de 2019
Alors qu’il y a eu un riche débat à l’occasion de ces élections, notamment autour de la question désobéir à l’Europe ou en sortir, résumée en plan A plan B, tout est réduit à des affrontements de personnes.
J’étais membre du Comité électoral à l’époque. Nous avons reçu 637 candidatures, 506 hommes et 131 femmes. Tout parti sait que constituer une liste finale réduite à 79 candidates et candidats est délicat et laisse des déçus.
Le comité électoral, composé de 32 membres dont 16 tirés au sort par région, a tenu 9 jours de réunion. Il a examiné toutes les candidatures.
Il a fonctionné au maximum au consensus, et pour cela, moi qui vient des Verts où il nous arrivait même de voter pour savoir s’il fallait voter, je remercie Manuel Bompard d’avoir su nous apprendre à travailler ainsi. Mais lorsque nous n’y arrivions pas, alors nous passions au vote car cela n’est pas facile d’intégrer tous les critères à respecter : engagement militant (associatif, syndical), luttes représentées (sociales, écologistes, féministes, antiracistes, 6ème République .. ), répartition régionale (mais impossible d’avoir un candidat dans chaque département ce qui a provoqué des frustrations et des accusations diverses), âge, respect de la diversité sociale, ouverture politique. Le comité a donc dû faire des choix douloureux.
Quant à l’accusation de verrouillage par le Parti de Gauche, elle est grotesque. Au début de la FI, l’espace politique incluait des représentants des partis politiques qui siégeaient au comité électoral. Ils ont présenté une liste de noms qu’ils souhaitaient voir figurer sur la liste. Le Parti de Gauche était la force la plus nombreuse, il était donc logique qu’il ait une place dans les éligibles.
Fin mai, alors que nous n’avions pas encore arrêté de liste de candidat.e.s sans même parler d’ordre dans la liste, un article du JDD faisait croire à des décisions prises sur la base du récit d’un membre du comité électoral, ce qui a forcément provoqué des remous.
Les candidates et candidats retenus dans la « short liste » se sont tous vus poser la question : à quelle place aspires tu et si tu ne l’obtiens pas, que fais-tu. Plusieurs candidat.es, des hommes pour leur grande majorité, ne se voyaient pas autrement que tête de liste, ou dans les tous premiers. Des candidates et candidats se sont alors retirés. Comme il n’est pas évident de dire que c’est pour une question de place, des nuances voire des désaccords politiques, qui n’avaient pourtant pas jugés si importants lors du dépôt de candidature, ont été montés en épingle. C’est une situation assez courante lors des constitutions de liste électorale.
Page 129, des insinuations laissent penser que Charlotte Girard a été poussée hors de la liste. Or en novembre, Charlotte a annoncé ne plus vouloir être élue. Beaucoup a été dit à ce sujet. Ayant été la personne chargée de la rencontrer, je confirme que ce retrait était lié à des raisons personnelles que je respecte. Le comité électoral ne s’y attendait absolument pas. Certaines ont alors cru que leur heure était venue. La déception a donc été très forte lorsque il a été décidé de faire le choix d’une représentante associative en la personne de Manon Aubry pour la tête de liste.
Comme le résultat électoral n’a pas été à la hauteur des espérances, des attaques ont immédiatement fusé dans la presse avant même qu’on ait le temps de faire un bilan collectif. Le soir même des résultats, Clémentine Autain tapait sur la FI et Raquel Garrido sur Clémentine dans les 2 jours qui suivaient « La ligne Autain a été mise en œuvre lors de cette élection européenne. Et elle a pris 6% « et indirectement sur Manon Aubry et plus globalement sur la campagne de la FI. En novembre Raquel quittait la FI pour devenir chroniqueuse sur C8 ancêtre de Cnews.
Enfin Caroline Fiat s’est exprimée sur le passage la concernant. Nous ne pensions pas la circonscription gagnable. Cela s’est joué à 365 voix soit 1 point de différence au 1er tour. Si la droite ne s’était pas présentée divisée nous n’aurions pas eu l’honneur et la joie d’avoir Caroline comme députée. Elle ne pouvait donc pas se préparer à entrer à l’Assemblée nationale et ne participait pas aux réunions de préparation de la présidentielle.
Encore une fois tout cela n’est vraiment pas sérieux.
2017-2022
Les différences de stratégies électorales se résument à un changement de pied sans prendre en compte le contexte !
La FI a refusé toute alliance avec le PS aux législatives de 2017 à cause du bilan calamiteux du quinquennat Hollande. Nous étions convaincus que cela provoquerait un rejet massif. Et les résultats nous ont donné raison. Alors que le PS avait eu 295 élu.e.s en 2012, il n’en aura que 31 en 2017.
Le rejet des années Hollande et des promesses non tenues était plus fort que les individualités. Il n’y a pas eu d’accord entre la FI et EELV car ces derniers refusaient de rompre avec le PS. Ils n’auront aucun élu.
De son côté la FI a eu 17 députés et c’est la première fois qu’une nouvelle force à la gauche du PS arrivait à faire élire des députés sans accord avec le PS. Nous avions fait la bonne analyse.
En 2022, face à la montée du RN et à la politique pro oligarchie de Macron nous considérerons qu’il faut des candidatures d’unité sur la base d’un programme de rupture. Pas parce que nous avions changé de pied mais parce que la situation politique avait changé. Et aussi parce que les forces politiques qui ont participé à la NUPES ont accepté l’exigence d’un accord sur des bases programmatiques et pas seulement une répartition de circonscriptions.
Mais lorsque le seul d’angle d’analyse pris s’intéresse uniquement aux racontars, on ne peut évidemment pas comprendre cela.
En conclusion je dirais que ce livre n’est pas une enquête sur la France Insoumise car dans ce cas le contenu serait un peu plus sérieux. Son seul objectif est de démolir Jean-Luc Mélenchon en se centrant uniquement sur ses traits de caractère et les racontars de personnes déçues.