Mon intervention en séance dans le cadre du débat général le mercredi 11 février 2009
Monsieur le président, madame la ministre de la santé et des sports, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, le texte que vous nous présentez a l’ambition, dites-vous, de réformer l’hôpital, d’améliorer l’accès aux soins, de réorganiser notre système de santé, notamment par la création des agences régionales de santé.
Des améliorations sont nécessaires, une réorganisation est souhaitable et les Verts se battent depuis longtemps pour passer d’un système de soins à un système de santé, et donc passer des agences régionales d’hospitalisation aux agences régionales de santé. Ce programme pourrait donc à première vue paraître prometteur. Mais tout se dégrade quand on entre dans le vif du sujet.
Revenons d’abord sur le diagnostic de notre système de santé : la dégradation de nos hôpitaux publics dont une majorité est en déficit budgétaire chronique ; l’épuisement des personnels de ces mêmes hôpitaux, qui amène nombre d’entre eux à les fuir ; le manque de professionnels de santé en certains points du territoire national et l’insuffisance du nombre de médecins formés ; le problème de la permanence des soins le soir, le week-end, les jours fériés et pendant les périodes de vacances, qui provoque un engorgement des services d’urgence ; les dépassements d’honoraires de plus en plus fréquents et de plus en plus élevés ; l’accroissement constant des affections de longue durée, causées notamment par l’épidémie de cancers ou encore de diabète.
Vos propositions répondent-elles à ces questions ? Non.
Les dépassements d’honoraires, y compris en secteur 1, conduisent à une médecine à plusieurs vitesses. La célèbre expression « tact et mesure » ne veut concrètement rien dire. De ce fait, de nombreux patients renoncent à se soigner ou en retardent le moment. En fin de compte, les pathologies s’aggravent et le coût des soins s’alourdit. Sur toutes ces questions, le projet de loi est muet.
La nouvelle réforme de l’hôpital intervient alors que l’hospitalisation publique est sous tension du fait des différents bouleversements que vous avez mis en place depuis 2002. La tarification à l’activité – la T2A –, établie sans tenir compte de la réalité complexe des prises en charge des patients à l’hôpital – à titre d’exemple, plus de 700 types d’actes chirurgicaux sont effectués par l’APHP contre 70 types d’actes seulement répertoriés dans les cliniques privées d’Ile-de-France –, n’a pas été évaluée, pas plus que l’impact de la création des pôles de santé. Or la T2A asphyxie l’hôpital.
La précipitation dans laquelle se sont succédé ces mesures n’a à aucun moment laissé le temps à la communauté médicale de repenser ses missions et son organisation dans l’intérêt des malades. Le projet que vous nous soumettez conduit une fois de plus à une logique de résultats financiers à court terme et même à très court terme. Un an, en effet !
De plus, au lieu d’impliquer les professionnels, de les associer pour redonner vie à la communauté hospitalière, le directeur de l’hôpital fixera seul les objectifs. Cela est dans la droite ligne du pouvoir personnel des « managers » que vous développez dans tous les secteurs : écoles, lycées, universités et hôpitaux. À croire que vous cherchez à attiser les conflits à l’intérieur de l’hôpital !
L’existence d’un conseil d’administration orientant la politique interne, c’était l’assurance que le projet d’établissement faisait au moins l’objet d’un débat. Ni le conseil de surveillance, qui n’interviendra plus qu’après coup et n’aura donc plus de réel pouvoir, ni le directoire, dont les membres seront choisis par le directeur de l’hôpital, ne seront réellement en mesure de débattre et de régler les problèmes rencontrés.
De plus, ces directeurs d’hôpitaux ne seront que des managers, parfois étrangers aux questions de santé, et qui n’auront comme seul objectif que la rentabilité à n’importe quel prix ; ce qui se traduira nécessairement par la fermeture de lits et des réductions de personnel. La moindre des choses serait d’ailleurs de rendre obligatoire le passage de ces futurs directeurs d’hôpitaux par l’école de Rennes.
En permettant que le privé accueille des internes, vous amputez l’hôpital public de personnels qui lui permettent d’assurer ses missions mais aussi de renouveler ses cadres. En transférant ainsi les missions de service public au secteur privé, ce sont les racines de l’hôpital public que vous proposez de couper.
Enfin, malgré vos déclarations, le manque de personnel reste criant. Je veux vous citer les propos d’une infirmière de l’hôpital de Saint-Étienne, très découragée, qui voit un à un ses collègues quitter leur métier : « Depuis deux mois, une de mes collègues infirmières a démissionné et n’est pas remplacée, une autre est en arrêt de travail, lequel risque d’être prolongé, et n’est pas non plus remplacée. Nous ne sommes donc plus que six infirmiers au lieu de huit à assurer un roulement sur quatre semaines, jours de semaine, week-ends et jours fériés compris. Samedi dernier, une autre collègue s’est arrêtée et, comme elle était la seule infirmière du soir, il n’y avait personne pour prendre la relève du matin. C’est un infirmier des urgences qui a été détaché. »
Cela m’amène à vous parler de la permanence des soins. Elle suppose en premier lieu la réorganisation de l’offre de soins en amont, dans la mesure où 70 % des personnes qui passent par les urgences ne sont pas hospitalisées. Or la permanence des soins hors hôpital n’est toujours pas réglée, le développement des maisons de santé est beaucoup trop lent et vous retardez encore des mesures efficaces pour l’installation de médecins dans les zones déficitaires. Le maillage territorial est indispensable : encore faut-il qu’il tienne compte des spécificités géographiques et démographiques locales.
Le même constat alarmant peut être fait pour l’éducation à la santé ou à la nutrition, ou encore en matière de prévention ou de recherche. Votre acharnement à vouloir traiter à part les questions de santé publique reste incompréhensible – il nous faudra ainsi attendre l’automne, voire l’hiver 2010 pour aborder ces réformes. Comment, en effet, organiser notre système sans se donner des objectifs clairs en la matière ? Comment évaluer les moyens sans se poser la question des besoins et des objectifs à atteindre ? La question est donc éludée et les seuls éléments présentés sont indigents. Je n’aurai pas la méchanceté de m’étendre longuement sur l’article 25, consacré pour l’essentiel à l’interdiction des cigarettes aromatisées.
C’est pourtant en développant au plus vite des politiques ambitieuses de prévention et d’éducation à la santé que nous trouverons des gisements sérieux d’économies. En effet, ce sont les maladies chroniques qui grèvent le plus le budget de la santé. Leur origine est due en grande partie à la commercialisation de préparations culinaires trop salées, trop sucrées, trop grasses, à une publicité omniprésente incitant à consommer de tels aliments déséquilibrés et à l’exposition aux multiples polluants qui nous entourent – plus de 30 000 composants chimiques dans notre vie quotidienne chez soi, dehors ou au travail.
Nous absorbons ainsi une très grande variété de pesticides tous les jours, mais votre loi ignore ces questions, comme elle ignore les questions de prévention sanitaire en matière de téléphonie mobile, de Wifi et, plus largement, d’ondes électromagnétiques ainsi qu’en matière de nanotechnologies. De façon symptomatique, elle ne confie pas aux agences régionales de santé de missions de santé environnementale, même quand celles-ci sont déjà inscrites au code de Santé publique, comme pour les eaux potables, les eaux de baignade et l’insalubrité des logements. Sans réponses dans ces domaines, il sera impossible d’arrêter les déficits à moyen et à long termes, mais aussi et surtout d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population.
La mise en place des agences régionales de santé – les ARS – aurait sans doute pu être le socle d’une grande réforme du système de santé, en rapprochant les lieux de décision du terrain et en passant d’une logique de soins à une logique de santé. Mais vous allez mettre à la tête de ces agences de véritables « préfets sanitaires », dont les pouvoirs exorbitants vont corseter le système. C’est une véritable étatisation technocratique qui se profile, écartant à la fois les collectivités territoriales, les caisses de sécurité sociale, mais aussi les professionnels de santé, tout comme les représentants des usagers. Ce refus d’appliquer le principe de subsidiarité est un non-sens, antidémocratique.
S’ajoute enfin à ce panorama une complexité des systèmes de décision digne d’un autre temps. Ainsi, le conseil de surveillance de l’agence régionale de santé devrait être présidé par le préfet de région. Cela promet de belles batailles de pouvoir en perspective, mais sans doute ne fallait-il pas froisser le ministère de l’intérieur et le corps préfectoral !
Comme toutes les réformes de santé et de sécurité sociale depuis 2002, celle-ci risque d’être un échec du point de vue de la diminution des déficits et de l’amélioration de la santé publique, parce qu’elle ne s’inscrit à aucun moment dans une perspective à long terme. Mais nous pouvons deviner que, derrière votre projet, se cache la volonté de restreindre l’accès à la santé publique pour mieux justifier à terme une privatisation.
Ce texte n’apporte donc de réponse ni aux questions posées ni aux problèmes rencontrés. Sa conception est étatique, technocratique et gestionnaire, elle tourne le dos à toute avancée vers une démocratie sanitaire. Votre réforme de l’hôpital est à ce titre très significative, puisque le pouvoir de décision sera concentré dans les mains du directeur.
Or c’est d’une réelle décentralisation que nous avons besoin, avec des agences régionales de santé assurant le lien entre des objectifs nationaux et leur traduction sur les territoires. Comme le disent les juristes, la déconcentration, c’est le même marteau qui frappe, seul le manche est plus court ! La déconcentration ne fait pas avancer la démocratisation du système de santé. La déconcentration n’est pas la décentralisation.
Cette loi nous fait revenir sur quarante ans de politique de décentralisation. Dès lors, vous comprendrez que les députés verts comme l’ensemble des députés du groupe GDR abordent ce débat avec un certain pessimisme, espérant toutefois, madame la ministre, que, durant l’examen de ce texte, vous prendrez la mesure de la situation et tiendrez compte de nos remarques, de nos propositions et de ce que disent à l’extérieur l’ensemble des personnels des hôpitaux et de la santé, pour aboutir à un texte qui remette au cœur du système de santé les patients, les professionnels et les élus locaux.