Intervention sur le RSA

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Je devais intervenir sur le projet de loi instituant le Revenu de solidarité active, avant mon départ en Bolivie. Les multiples reports de débats ne m’ont pas permis d’être présente au moment où s’est effectivement déroulée la discussion générale du texte : j’étais à La Paz. C’est donc Roland Muzeau qui a lu mon texte dans l’hémicycle. En voici le contenu.

(les député-e-s Verts se sont abstenu-e-s sur le texte final)
__M. Roland Muzeau.__ Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, cette intervention aurait dû être prononcée par mon amie Martine Billard, mais la désorganisation de nos travaux l’en a empêchée. Par ma voix, je vous demande de bien vouloir l’écouter.

Ce projet de loi ne présente pas que des aspects négatifs. En effet, la généralisation du revenu de solidarité active aura pour certains un effet bénéfique même s’il ne s’agit pas d’un outil miraculeux à même de faire sortir l’ensemble de nos concitoyens au chômage de la précarité ou les travailleurs pauvres de leur situation. La reprise d’un emploi ne se traduira plus comme aujourd’hui par la suppression de la somme perçue au titre du RMI mais seulement d’une partie. Le RSA aura ainsi un effet d’amortisseur pour ceux qui retrouvent une activité rémunérée, notamment lorsqu’il s’agit d’un temps partiel.

Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit rapidement que votre projet reste dans la droite ligne de votre politique. Vous continuez à diviser et à morceler la société, sans doute dans l’espoir de mieux régner. En agissant ainsi, vous accélérez un peu plus la décomposition du corps social et mettez en danger le fragile équilibre du pays.

Vous dites en substance que pour être aidé, il faut le mériter. Mais c’est oublier que l’exclusion est un phénomène subi dont on ne sort pas facilement et qu’elle affecte l’ensemble de la société, du fait notamment de ses répercussions en matière de santé publique. De plus, elle provoque un malaise général qui conduit à des réflexes sécuritaires, xénophobes ou encore identitaires. À chaque recul de l’État social, vous faites avancer l’État répressif et l’État pénal, flattant souvent les réflexes populistes. Vous poursuivez ainsi le démantèlement des solidarités au profit d’une logique individualiste.

Par ailleurs, je note que vous avez durci les conditions d’attribution du RSA en donnant une nette priorité à la reprise d’un emploi. Or de nombreuses personnes sont très éloignées de l’emploi et parfois dans l’incapacité de s’inscrire dans un parcours d’insertion immédiat. En outre, votre loi ne considère plus le travail bénévole dans les associations comme un élément objectif d’insertion alors même qu’il constitue l’un des moyens d’amorcer le processus d’insertion avant d’entrer dans un parcours plus officiel.

Votre projet évite soigneusement de s’intéresser à la situation des jeunes de 18 à 25 ans, sans doute censés vivre d’amour et d’eau fraîche. Cette question remonte, il est vrai, à la création du RMI et aucun gouvernement n’a voulu s’y attaquer. Reste que depuis la suppression du dispositif TRACE sous le gouvernement Raffarin, il n’existe plus aucun dispositif spécifiquement destiné aux jeunes.

À l’égard des étrangers, vous poursuivez votre politique d’exclusion. Contrairement à ce que vous affirmez, la fusion du RMI et de l’allocation de parent isolé ne se fera pas à droit constant pour eux. Les conditions exorbitantes et discriminatoires que vous leur opposez sont encore plus restrictives que celles applicables aux actuels bénéficiaires du RMI.

À quelques exceptions près – réfugiés, apatrides, titulaires d’une carte de résident de dix ans désormais de moins en moins souvent attribuée, familles monoparentales remplissant les conditions d’attribution de l’actuelle API –, le projet impose une condition plus contraignante qu’une présence régulière depuis plus de cinq ans, à savoir l’obligation « d’être titulaire depuis au moins cinq ans d’un titre de séjour autorisant à travailler ». En conséquence seront exclus du bénéfice du RSA tous les étrangers non européens même si durant cette période de cinq ans, ils ont détenu un titre de séjour, « vie privée et familiale » par exemple.

Ils seront écartés de l’aide financière mais aussi des mesures d’accompagnement du RSA, alors même que les étrangers sont parmi les plus affectés par les difficultés d’insertion sociale et professionnelle – premiers emplois peu qualifiés, contrats précaires, temps partiels, salaires faibles, problèmes d’accès au logement. Pire, cette condition s’appliquera aussi au conjoint, concubin ou partenaire pacsé du demandeur alors que, pour le RMI, la justification de leur régularité de séjour par la détention d’un titre d’un an, quel qu’il soit, suffisait.

Cette condition de résidence préalable de cinq ans est contraire à certains engagements pris par la France au plan international. De nombreuses juridictions ou instances ont considéré qu’il s’agissait d’une discrimination : le comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe, la Cour de justice des communautés européennes, le Conseil d’État – violation des accords avec l’Algérie – ou encore des juridictions administratives – violation de la directive européenne asile 2004-1983/CE s’agissant de titulaires de la protection subsidiaire.

Les discriminations ne se limitent pas au demandeur et à son conjoint ou concubin, elles s’étendent aussi aux enfants : le projet prévoit un alignement sur les règles actuelles des prestations familiales, ce qui revient à continuer d’exclure les enfants entrés en France en dehors de la procédure du regroupement familial. Tant la Cour de cassation que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité considèrent pourtant cette exclusion comme contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Convention internationale des droits de l’enfant.

Par ailleurs, vous intégrez le montant des droits annexes pour calculer le RSA, ce qui revient à limiter fortement ses effets. Pour nous, il n’est pas question d’amputer le RSA des prestations et aides sociales, particulièrement celles relatives au logement. L’expérience montre sur le terrain que de nombreuses familles se trouvent, en l’absence de telles prestations, dans des situations désespérées et désespérantes. Ce n’est pas ainsi que l’on favorisa le parcours vers l’insertion et encore moins le retour à l’emploi. De plus, vous savez très bien que le logement est le premier élément de stabilité des personnes et des familles. Cela a été souligné de manière constante dans tous les rapports et études depuis des années. Il est temps d’en prendre la mesure.

Je passerai rapidement sur l’évaluation des avantages en nature. Outre le fait qu’il apparaît difficile aux services d’y procéder – comment estimer, par exemple, les ressources provenant de la culture de légumes dans un jardin –, je rappelle que l’occupation d’un logement à titre gratuit est déjà un élément pris en compte dans le système d’aides sociales : elle est exclue du champ d’attribution de l’aide au logement. Plus généralement pourquoi faire du logement un privilège alors qu’il est presque aussi indispensable à la vie que boire ou manger ? Loin d’être un luxe, c’est un facteur essentiel pour éviter l’exclusion. Alors même que les pouvoirs publics sont incapables d’assurer l’accès au logement social des ménages qui en ont besoin, il est paradoxal de déstabiliser ceux qui en ont un. Aussi les nouvelles mesures concernant le calcul de la taxe d’habitation ainsi que celles relatives à la redevance télévisuelle ne nous paraissent-elles pas aller dans le bon sens.

S’agissant du contrôle et des sanctions, votre politique ne s’est pas infléchie. Il n’y a qu’un seul principe pour vous : le bénéficiaire d’une prestation sociale est forcément un tricheur. Cette stigmatisation populiste que vous entretenez en permanence n’est pas saine. Mais vous allez encore plus loin, puisqu’en cas de travail au noir imposé par un employeur, vous faites porter une part de responsabilité au bénéficiaire du RSA, lui imputant les turpitudes de son employeur.

Par ailleurs, vous imposez aux personnes ayant droit au RSA du fait de la faiblesse de leurs revenus du travail de rechercher un autre emploi ou de pratiquer le cumul d’emplois, sans prendre en considération la fatigue et le coût des déplacements que cela implique. À défaut, elles devront entreprendre des actions d’insertion au risque de voir leur RSA remis en cause. Plutôt que d’inciter les entreprises à proposer des emplois à temps plein, votre dispositif vise à imposer un cumul de temps partiels permettant tout juste de survivre. Somme toute, l’ensemble s’apparente à du travail sanction, ce qui est totalement contradictoire avec la valeur travail que vous chérissez tant.

S’agissant du financement du RSA, l’annonce d’une taxe sur les placements et le patrimoine aurait pu être une bonne surprise. Toutefois, à y regarder de près, le bouclier fiscal exonérera les plus nantis de toute contribution en faveur du RSA, ce qui est un comble ! En refusant que la taxe pour le financement du RSA soit appliquée à tous, y compris aux contribuables protégés par le bouclier fiscal, vous confirmez qu’il n’est pas question de toucher aux revenus des plus riches. Cette proposition empreinte de tant d’injustice sociale ayant provoqué un scandale dans le pays, vous essayez d’atténuer ses effets par la limitation des niches fiscales. Mais les montants avancés sont dérisoires. Ils provoquent l’effet inverse et scandalisent un peu plus.

De manière plus globale, on peut souligner la faiblesse du dispositif de financement et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir. La prise en charge par les départements des montants précédemment alloués au titre de l’API sera-t-elle réellement compensée par l’État dans la durée ? Le gel de la PPE va certes diminuer le nombre de bénéficiaires mais le manque de simulations comparatives nous pousse à nous interroger sur la réalité des bénéfices que l’on peut en attendre. Individuellement, nous comprenons bien qu’un allocataire peut être gagnant, mais collectivement cela est moins évident.

Par ailleurs, il faudrait aussi éviter que le RSA ne produise un effet d’aubaine pour des employeurs encouragés à maintenir ou à développer des emplois à temps partiel imposés et mal payés. Comme toute mesure en matière économique, le RSA devrait être utilement complété par des dispositions visant à dissuader le recours abusif aux temps partiels et aux petits boulots. Or c’est le contraire que vous proposez : le refus d’accepter de tels emplois pourra conduire à perdre le bénéfice du RSA en raison des nouvelles règles relatives à l’offre raisonnable d’emploi. Ce n’est donc pas ce dispositif qui mettra un terme au développement du phénomène des travailleurs pauvres qui, rappelons-le, sont aujourd’hui plus de 2 millions.

Dans une récente étude, l’OFCE précise que « les problèmes de santé, de transport, de gardes d’enfants, le manque de qualification sont des freins au retour à l’emploi au moins aussi importants que le manque d’incitations financières » et estime que « l’effet du RSA sur l’emploi des allocataires de minima sociaux pourrait être faible ». Toujours selon le même organisme cité par l’AFP, le RSA pourrait aussi « encourager certaines femmes à réduire leur temps de travail, voire à se retirer du marché du travail ». En effet, pour les couples, « si le RSA rend le passage de l’inactivité à un SMIC plus rémunérateur, il réduit les incitations financières du travailleur secondaire, le plus souvent la femme » sachant que « lorsqu’il faut faire garder des enfants, le coût du retour à l’emploi peut être important ». Comme toujours, ce sont les femmes qui sont en première ligne. L’OFCE indique encore : « Aux États-Unis, une mesure équivalente a réduit d’un point le taux d’activité des femmes en couple. »
« Il serait possible de réduire cet effet pervers du RSA en diminuant les frais de garde d’enfants et/ou en augmentant le nombre de places d’accueil collectif, ce qui lèverait l’un des principaux freins à l’emploi des mères de jeunes enfants mais coûterait cher. » Or les moyens envisagés seront loin d’être suffisants pour envisager une telle politique.

Le bilan de ce texte reste pour le moins déséquilibré.
Si la mise en place d’un contrat unique d’insertion pour le secteur privé et le secteur public reste une très bonne initiative que nous réclamions depuis de trop nombreuses années, en revanche l’absence de dispositions relatives à la formation laisse perplexe alors que nombre d’allocataires manquent de qualifications adaptées aux emplois disponibles.

Vous supprimez l’intéressement, véritable usine à gaz, mais le RSA reste pour le moins opaque quant aux montants à percevoir. On peut ainsi se demander comment se feront les calculs pour les personnes qui ont des situations de travail fluctuantes ou des horaires variables.

Enfin, comment gérerez-vous toutes les obligations faites aux bénéficiaires du RSA de retrouver du travail s’il n’y en a pas ?

Il est à craindre que le RSA ne conduise à une véritable rupture entre les bénéficiaires des minima sociaux qui réussissent à accéder à l’emploi et les autres. Ce n’est pas ainsi que l’on évite la marginalisation et la très grande pauvreté. L’échec du « I » dans le RMI n’est pas l’échec du RMI en tant que tel mais des moyens mis enœuvre pour développer les actions d’insertion. Et il risque fort d’en être de même pour le RSA.

Voilà, madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, ce que Mme Billard aurait aimé vous dire elle-même si l’organisation de nos travaux n’avait pas été manipulée.


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